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18 et 19 avril 2017 – Pékin.

Le Go est lent

Qui aurait pu imaginer il y a quelques années encore que Pékin serait un symbole de liberté ? N’importe quel pays est un symbole de liberté après une semaine à Pyongyang. Mais encore faut-il pouvoir sortir de l’aéroport.

Les visiteurs en transit peuvent bénéficier d’une entrée en Chine sans visa, pour autant qu’on ne reste que 72 heures au maximum et qu’on ne quitte pas la région de Pékin. Sur le papier, ça semble être une bonne idée. Dans la pratique, tant à l’aller vers Pyongyang qu’au retour, ça a prolongé de plusieurs heures le passage de la frontière avec des vérifications sans fin. Mon voyage comprenait tous les transferts de et à l’aéroport par chauffeur privé (à chaque fois le même) et il m’a dit qu’il avait l’habitude d’attendre dans de tels cas. Si vous êtes pressés et pas à quelques dollars près, peut-être devriez vous prendre un visa plutôt que de compter sur cette exception.

Le Go est lent

Je ne vais pas m’attarder sur mes impressions de Pékin. Si j’imagine que je n’ai fait qu’effleurer la vérité de la Corée du Nord en une semaine, que dire de la Chine en trois jours ? Trois jours pour voir Tien An Men, le Temple du Ciel, la Cité Interdite, quelques Hutongs. Hélas, le Mausolée de Mao était fermé pour cause de rénovations. Sinon, j’aurais volontiers continué ma collections de dictateurs allongés ! Sentiment d’une ville grouillante de vie, avec également ses inconvénients (la pollution de l’air est terrible). Quelques choses m’ont surprises : la rudesse des contacts humain. A l’Hôtel, au petit déjeuner, on ne vous dit pas « Good Morning Madam, may I have your room number please ? » C’est « Room Number » tout court ! A la fin des formalités à la réception, ce n’est pas « Thank you, have a good day », c’est « Finish ! ». Pour entrer dans les lieux touristiques, on passe aux fouilles et vérifications d’identité. On m’a dit que les policiers redoutaient principalement des suicides de Tibétains sur la place Tien An Men ou des attentats du Falun Gong. Et sinon, moi qui me plains volontiers de l’universalisation des villes qui finissent par se ressembler, je dois admettre avoir été contente de voir un Starbucks et avoir cédé à l’envie de m’offrir un café et un wifi.

Place Tien An Men

Place Tien An Men

Cité Interdite

Temple du Ciel

Voila pour ce voyage.

Près d’un mois après mon retour, la Corée du Nord continue à m’habiter. Parce que j’écris ces souvenirs, parce que je lis ou relis des ouvrages qui en parlent, parce que le choc culturel est réel, parce que je pense à M. Sin et à Mademoiselle Ri avec une certaine tendresse, parce que je n’ai pas envie de voir la guerre déchirer cette terre une fois encore.

Que devriez-vous lire si vous vous intéressez à ce pays ?

  • Tout d’abord l’extraordinaire récit de voyage de feu Yangguizi (https://voyageforum.com/d…/coree-du-nord-coree-nord-d144695/)
  • La Corée du Nord en 100 questions de Juliette Morillot et Dorian Malovic. Disponible également en ebook. Pas mal d’idées reçues démontées. Livre récent.
  • Corée du Nord d’Antoine Bondaz et Benjamin Decoin. Particulièrement remarquable par ses belles photographies. Il s’agit également d’un ouvrage récent.
  • Vies ordinaires en Corée du Nord de Barbara Demick – en cours de lecture
  • Petit Futé – Corée du Sud et Corée du Nord. – Quasiment inutile si vous n’allez qu’au Nord.
  • Pyongyang de Guy Delisle – Bande Dessinée qui relate les quelques mois que l’auteur a passés à Pyongyang. Plongée dans l’ambiance. Précieux.
  • Nouilles Froides à Pyongyang de Jean-Luc Coatalem – L’avantage c’est qu’il existe en poche, donc pas cher. L’inconvénient, c’est que ce n’est « qu’un » récit de voyage. Dispensable.
  • Les Aquariums de Pyongyang de Chol-Hwan, Kang. L’auteur a été enfermé, enfant, dans un camp de travail nord coréen. Une dizaine d’années plus tard, il en est libéré. Il fuit le pays, passe en Chine puis en Corée du Sud où il écrit ses souvenirs. Glaçant.
  • Au Pays du Grand Mensonge de Philippe Grangereau. Edit du 28 mai 2017 : livre tout à fait recommandable. Un journaliste français relate son voyage en Corée du Nord au début des années 2000. Le livre tient du récit mais est également émaillé d’informations historiques et géopolitiques. Curieusement, au moment où il mentionne les successeurs possibles de Kim-Jong-Il, le nom de Kim-Jong-Un n’apparaît pas, même pas dans les enfants du Général.

Bien sûr, ne prenez en aucun cas ces livres avec vous en voyage là-bas. J’avais fait une exception pour la partie Nord du Petit Futé et La Corée du Nord en 100 questions, en version pdf sur mon iPad. Les livres papier sont scrutés à l’arrivée et j’imagine que ceux que je viens de mentionner n’ont aucune chance de passer la censure et pourraient valoir des ennuis à leurs détenteurs.

Place Tien An Men

Faut-il aller en Corée du Nord ?

Oui, si vous voulez partir hors du temps. Non, si vous ne supportez pas les guides et que vous tenez à votre liberté de déplacement. Oui si vous supportez de vivre quelques jours sans internet. Non si vous palissez à l’idée de devoir vous incliner devant la statue de Kim-Il-Sung.

Si vous avez des questions, j’y répondrai volontiers dans la mesure de mes moyens, sachant que je ne suis qu’une touriste, en aucun cas une spécialiste de quoi que ce soit. Mes écrits n’engagent que moi, et encore !

 

Temple du Ciel

Mes prochains voyages ?

  • Juin 2017 : deux petits jours dans le Bade-Wurtemberg
  • Juillet 2017 : Tour de l’Europe du Sud-Est : (Bulgarie, Albanie, Croatie, Montenegro, Macédoine, Kosovo)
  • Août 2017 : Islande et Groenland
  • Octobre 2017 – en projet – Kazakhstan
  • Printemps 2018 – en projet – Trio de pays baltes.
  • Eté 2018 – en projet – Inde et Bhoutan
  • Eté 2018 – en projet – Amérique centrale
  • 2019 : Il faudra bien que je passe l’équateur une fois dans ma vie, non ?

Je n’ai pas l’habitude d’écrire de telles chroniques, c’est, à vrai dire, la première fois. Peut-être pas la dernière. Je n’avais prévu que de prendre quelques images et de les décrire brièvement, puis je me suis prise au jeu. Il serait dommage de laisser s’effacer les souvenirs d’un voyage si extraordinaire sans les fixer d’une manière ou d’une autre, non ?

Ces chroniques de Corée du Nord sont d’abord parues sur la page Facebook Schneider&Co World Tour

 

Jour 8 – Lundi 17 avril – Juche 106 – Mt Myohyang – Pyongyang. Début du jour 9 – Mardi 18 avril Juche 106.

Poyon

Il pleut à verse. Nous nous dirigeons vers le temple de Poyon, merveille bâtie au temps de la dynastie Koryo, au XIeme siècle. Le cadre est à couper le souffle et j’aurais voulu m’y arrêter toute ma vie ou presque. Je devais être la seule de cet avis car nous traversons le site au pas de charge (la pluie, le vent, le fait que ce ne soit pas un monument à la gloire du régime, que sais-je ?). Dans le minibus, notre guide est inquiète. L’après-midi doit être consacré à une « promenade en montagne » mais le temps ne le permettra sans doute pas. Elle nous propose une alternative : concert symphonique ? Oh oui, m’écriai-je. Oh non ! Rétorque un de mes compagnons de voyage. Pas de concert donc. Je suggère la visite du Palais des Enfants ? C’est lundi, donc impossible. Retour à l’Hôtel de Pyongyang pour préparer nos bagages ? Mouais….. je ne vais pas passer 5 heures à fermer ma petite valise.

Mt Myohyang

Nous en sommes là de nos réflexions lorsque nous arrivons au « Salon d’exposition de l’amitié internationale », bâtiment imposant qui accueille les cadeaux offerts aux Grands Dirigeants sur trois générations. A chaque arrêt touristique, une guide locale nous accueille. C’est le cas ici également et je dois dire que celle qui nous est attribuée aujourd’hui est particulièrement remarquable. Non par sa beauté – qui est éclatante – ni par sa robe traditionnelle – c’est traditionnel – mais par sa ferveur et son sourire. Contrairement aux autres guides locales qui se contentaient de réciter une leçon bien apprise, celle-ci donnait l’impression de créer un réel contact humain et de vouloir nous envelopper dans l’Amour rayonnant du Juche et de Ses Prophètes.

Palais des cadeaux de l’amitié

Le bâtiment est impressionnant vu de l’extérieur, et encore plus de l’intérieur. Il est sans doute en partie creusé dans la roche. Les photos y sont interdites, hélas. Tout de marbre et de dorure, il comporte des centaines de pièces renfermant, dans des vitrines, les cadeaux les plus extraordinaires offerts au cours des ans à Kim I, Kim II et Kim III. Nous avons visité uniquement une partie de ceux destinés à Kim-Il-Sung. Les salles sont organisées par continent et ensuite par pays. Nous pouvions demander à voir un pays du monde quelconque – nous avons choisi l’Inde un peu au hasard, puis elle nous a menés dans les salles de la France et de la Suisse. Ça allait du beau vase en cristal offert par François Mitterand à la pièce d’or célébrant le 700ème anniversaire de la Confédération envoyé par Flavio Cotti. Plusieurs cadeaux ne mentionnaient pas le nom du donateur, simplement son titre. P.ex. Doyen des Sciences Sociales de la Faculté de *****. Il y avait également beaucoup de cadeaux d’entreprise. J’ai souri intérieurement en voyant un couteau Victorinox offert, si je ne m’abuse, par le Président de l’Association d’Amitié Suisse – Corée, un certain Martin L*. Je ne censure pas volontairement son nom, simplement je ne suis pas certaine de l’avoir compris correctement. Je ne maîtrise pas encore l’Allemand avec accent coréen. C’est une véritable caverne d’Ali Baba ! Nous passons devant des armes dorées, des tableaux, des peaux d’ours, présents de tout ce que la terre a compté de dictateurs ou présidents, avec une belle moissons de représentants de l’Europe de l’Est Ceaucescu, Honecker, Jaruselski, Brejnev, etc.

Myohyang

La pièce maitresse est un avion Ilyushin, cadeau de la Russie soviétique, ou peut-être un maillot des Harlem Globe Trotters offert par Dennis Rodman, ou la peau d’un ours tué par Tito ? (Je me perds dans les détails. Il serait amusant de posséder un inventaire complet).

Le principe de cette exposition est de montrer, non seulement que les dirigeants ou autres VIP du monde entier sont béats d’admiration devant les Kim au point de les couvrir de cadeaux, mais aussi que ces derniers sont tellement détachés des biens matériels et incorruptibles qu’ils ne les utilisent pas et les laissent à la disposition des yeux ébahis de leurs ouailles. En parlant d’ouailles, nous n’étions pas seuls, pour une fois, dans ce bâtiment, qui était visité par plusieurs classes de jeunes pionniers. Ceux-ci, en rang par deux ou trois, vêtus d’uniformes scolaires et arborant un foulard rouge à faire pâlir d’envie le Renaud de la belle époque parcouraient les couloirs et nous regardaient avec curiosité. Certains osaient même un petit geste de la main.

Là encore, j’aurais voulu pouvoir ramener des images.

À la fin de la visite, la guide locale m’a demandé si je souhaitais écrire quelque chose dans le livre d’or. Après mûre réflexion j’ai pondu une banalité du genre « Les présents offerts de bon coeur favorisent la paix et l’amitié ». Après traduction, elle a eu l’air un peu déçue, s’attendant sans doute à beaucoup plus s’enthousiasme de ma part. Comme depuis le début du voyage, j’étais partagée entre mon principe absolu de respecter les pays que je visite et leurs valeurs, leurs croyances, aussi absurdes puissent-elles me paraître, et ma ferme résolution de me pas cautionner le régime des Kim. Ça m’apprendra ! J’ai dû m’extasier un peu trop fort devant les aigles naturalisés, les vases Ming ou les Tour Eiffel miniatures.

Nous terminons la visite par la terrasse qui donne sur la vallée. Un paysage de montagne sous la pluie, très Wagnérien.

En parlant de musique, nous avons passé quasiment tous nos trajets à écouter le même DVD (il y avait un petit écran sur le tableau de bord, là où dans nos véhicules se trouverait l’écran du GPS. Comment diable le chauffeur peut-il conduire en regardant des clips videos ?) La musique était celle du groupe Moranbong, un ensemble entièrement féminin dont les membres ont été choisies par Kim-Jong-Un himself. Au bout de deux ou trois jours, j’avais l’impression de connaître par coeur les chansons. Le style, très pop, aurait sans doute beaucoup de succès à l’Eurovision. Je demande à M. Sin de quoi parle la chanson la plus « collante », celle qui, à mes oreilles fait « Kalimiraaaaa, Kalimiraaaa ». Il me répond qu’elle dit « Allons au Mont Paektu ». Le Mont Paektu est *la* montagne sacrée de la Corée du Nord, le point culminant de toute la péninsule, dont on voit des fresques un peu partout dans le pays. Je suis déçue, moi qui espérais qu’on allait me conter une histoire romantique. Je chantonne un autre air, également entraînant, et demande de quoi il parle. « C’est la chanson du drapeau du parti ». Raté encore !

Myohyang

Myohyang

Après le repas, la pluie a cessé, et comme je n’ai pas réussi à convaincre mes camarades d’aller écouter un concert symphonique, nous tentons de tenter la balade en montagne. Je suis Valaisanne, comme vous le savez, et donc, lorsqu’on me parle de montagne, je ne vais pas me laisser impressionner. Après quelques kilomètres de route, le minibus s’arrête non loin d’une chute d’eau. C’est là que commence le parcours. En guise de promenade en montagne, c’est une série interminable d’escaliers qui nous attend, certains normaux, quoiqu’inégaux, d’autres carrément taillés dans le roc. Autant dire que ce n’était pas drôle. Au bout d’une demie heure, je jette l’éponge. Les marches sont de plus en plus hautes et mes muscles refusent de me porter. Ma tête également dit que chaque marche montée devra être redescendue, et j’appréhende cet effort. En effet, j’ai beau être bien chaussée, lors de la descente, je me retrouve sur les fesses. Oui, la roche mouillée glisse. Pour atténuer mon humiliation, mes petits camarades et notre guide se retrouvent également plusieurs fois le postérieur au sol !

Escaliers

Quelle drôle d’idée que d’avoir taillé ces escaliers. N’y aurait-il pas eu moyen plutôt de faire un chemin ? L’endroit est très beau, nous longeons un torrent, mais l’effort est en effet décourageant sans entraînement préalable.

Pour la petite histoire, après trois jours, les courbatures n’étaient plus qu’un mauvais souvenir.

De retour au minibus, je demande à la guide ce que signifie ce drôle de panneau avec des chiffres (500 – 1000 – 2000). Mes camarades français me répondent qu’il s’agit de distance jusqu’aux cabanes en montagne. La guide qui a renoncé à apprendre quoi que ce soir à des personnes qui savent déjà tout me souffle à l’oreille que c’est le prix. Tarifs différenciés pour les enfants, étudiants ou adultes. La promenade est donc payante.

Pendant ce voyage, il m’aura été impossible d’avoir une idée du prix des choses. Tout était compris – à l’exception évidente des babioles ou autres souvenirs. Jamais nous n’avons eu à mettre la main à la poche pour un repas, une excursion, une entrée. Nous n’avons pas non plus eu accès à la monnaie locale, car dans chaque boutique nous payions en Dollars, Euros ou Yuans. Devançant notre curiosité, notre guide nous a offert à chacun un billet de 50 won. J’ai par ailleurs acquis dans une boutique, un livret sur la monnaie locale. Quelle drôle d’idée me direz-vous. L’attrait de ce qui est interdit sans doute. Et puisqu’on en est à parler d’argent, si vous vous rendez sur place, sachez que vous devrez prendre du cash avec vous car vous ne trouverez pas de distributeur (ATM) et que les cartes de crédit ne sont pas acceptées dans les commerces. Ceci est valable pour 2017. Si par le plus grand des hasards vous me lisez en 2025, ne prenez pas ce paragraphe pour argent (hem) comptant.

Fesses endolories, nous reprenons l’autoroute désert et cabossé pour Pyongyang.

Avenue de la science

Comme il n’est pas encore l’heure du repas, nous nous promenons à pied le long de l’avenue de la science. Il s’agit de bâtiments modernes. Mademoiselle Ri nous désigne le plus important « C’est là qu’habite mon professeur d’université ». L’architecture est spéciale, un peu comme on aurait pu imaginer le futur dans les années 1970. Oui, je sais, nous sommes dans le futur de 1970 !

Avant de retourner à l’hôtel, nous mangeons en ville. Comme il s’agit de notre dernier repas en Corée, j’ai demandé si les guides et le chauffeur pouvaient se joindre à nous. Je voulais avoir la possibilité d’échanger avec eux et peut-être d’en apprendre plus sur leur vie.

Nous avons trinqué avec un peu de vin de riz et j’ai eu l’occasion de remettre aux guides et au chauffeur un petit souvenir. La visite de l’exposition de l’amitié le matin même m’avait offert la meilleure introduction. « Ce matin, lors de la visite, j’ai vu que M. Martin L* avait offert un couteau suisse à votre Grand Leader, je vois que nous les Suisses ne sommes pas très originaux ». Ceux que je leur ai présenté – des Victorinox évidemment – avaient bien moins de lames, mais c’était de bon coeur. Il est difficile de savoir si ce cadeau a été apprécié car un de mes compagnons de voyage s’est empressé de dire « Chez nous, lorsqu’on offre un couteau…. etc etc etc ». Ce à quoi je n’ai pu que répondre que chez nous on offrait ce qu’on avait envie d’offrir et qu’on n’était pas superstitieux.

A plusieurs reprises ce soir-là, j’ai essayé d’amener la conversation sur un terrain plus personnel afin de connaître mieux nos hôtes, mais c’est diablement difficile, lorsque, à chaque question que vous posez à votre guide, un des touristes prend la parole pour répondre. En plus du manspreading, le mansplaining est universel. Là où ils n’ont rien pu dire, c’est lorsque j’ai demandé à Mademoiselle Ri ce que son fiancé faisait dans la vie. Elle a rougi et m’a dit qu’elle ne pouvait y répondre qu’à voix basse. HA ! De quoi aiguiser la curiosité ! De quoi imaginer le pire ou le meilleur. Gardien de camps de travail ? Cuisinier de Kim-Jong-Il ? Chanteur de Karaoke ? Ce n’est que quelques heures plus tard, dans le hall de l’Hôtel Yanggakdo que, marchant plusieurs mètres derrière les autres, je lui ai demandé « Alors, maintenant que nous sommes seules, pouvez-vous me dire le métier de votre fiancé ? » « C’est un secret, il est ******** ». Je respecte son voeux et garde son secret, même si je n’en comprends pas la nécessité, tant ce qu’elle m’a dit semble normal, dans quelque société que ce soit.

Le soir, j’ai bouclé ma valise avec difficulté, ayant cédé au chant des sirènes des boutiques de souvenirs (quatre livres de contes, un t-shirt, un drapeau, des babioles, des bonbons, etc). Le lendemain, notre guide se rendrait trois fois à l’aéroport. La première fois très tôt le matin pour un des Français et moi. La deuxième fois en fin de matinée pour l’autre Français, la troisième fois pour accueillir un couple dont elle serait guide pour la semaine à venir. C’est le moment de réaliser que la semaine de 35 heures ou même de 42 heures n’existe pas pour elle. Elle est sur pied de guerre du matin au soir et enchaîne les groupes de touristes. J’ai aussi appris qu’elle changeait chaque semaine de chauffeur et de co-guide. J’imagine qu’il s’agit d’une volonté du pouvoir. Il ne faut pas qu’une trop grande complicité s’installe entre guides afin qu’ils puissent continuer à se surveiller les uns les autres. Il faudrait bien voir qu’un ou l’autre succombe aux charmes occidentaux et décadents qui émanent des touristes.

À l’aéroport tout se déroule bien. Nous faisons nos adieux et passons les contrôles. Un jeune douanier regarde mon passeport et me dit « Switzerland, rich country ». Je lui réponds : « Yes, nice country. But your country is very nice too ». Je jure qu’il a rougi sous sa casquette ! Le pire, c’est que je le pense vraiment. La Corée est en même temps tragique et belle. Et je ne peux que souhaiter le meilleur à ses habitants.

Le vol pour Pékin se déroule sans encombre. Comme à l’aller, nous avons droit au merveilleux burger mystère d’Air Koryo. La tension internationale (Mike Pence est dans la péninsule pour remuer le bâton dans la fourmillière) fait que je serai heureuse lorsque les roues toucheront le sol de Pékin.

(à suivre)

Lien sur les deux chansons mentionnées dans le texte :
https://youtu.be/mA5Yi6k1Yn8
https://youtu.be/RtsOvW1RfS0

Jour 7 – dimanche (de Pâques) 16 avril – Juche 106 – Pyongyang – Mt Myohyang

Dimanche de Pâques. Là où les Chrétiens fêtent une résurrection, nous allons nous incliner devant des dépouilles. Des centaines de touristes et moult locaux, militaires, mais également civils qui arborent des médailles, récompenses pour avoir été des travailleurs exemplaires, se massent près de ce qui a été le palais du gouvernement de la Corée du Nord, avant d’être transformé en Mausolée pour Kim-Il-Sung en 1994. A sa mort en 2011, Kim-Jong-Il y rejoint son père.

Mausolée

On nous demande de nous habiller le mieux possible. Je suis de noir vêtue, comme souvent, ce qui convient aux « censeurs » et j’ai troqué mes baskets de marche pour de petites chaussures de ville, ce qui me vaut un regard reconnaissant de la jeune guide. Nous laissons toutes nos affaires dans le minibus, à l’exception des appareils photos uniquement utilisables dans le parc, à l’extérieur du palais.

Mausolée

Mausolée

Nous passons plusieurs contrôles, aussi sévères que dans un aéroport. Les appareils photo sont déposés dans une consigne et nous passons sous des portiques de détection de métaux. Les visages sont graves, tant de la part des visiteurs que des employés du Mausolée. Mademoiselle Ri nous demande de ne pas croiser les bras ou les mains. Un de mes compagnons de voyage fait remarquer que la guide d’un autre groupe est sans doute une mauvaise Coréenne ! Mademoiselle Ri nous répond qu’elle n’est qu’une stagiaire. Plus tard, je la vois remettre à l’ordre sa jeune collègue. Nous avançons sur un très long tapis roulant, dans un couloir qui nous emmène dans le Palais. Aux murs, des photos des Grands Leaders. Sur une d’entre elles, je remarque que Kim-Jong-Il a les bras croisés. Je résiste à l’envie de le faire remarquer à haute voix. Quelque chose me dit que l’endroit n’est pas propice à la plaisanterie. En face, le tapis roulant qui mène à la sortie est totalement vide. J’imagine un instant qu’il s’agit d’un voyage sans retour. Comme dans la chanson Hotel California, on y rentre, mais jamais on n’en ressort. L’explication est plus simple, nous sommes tout simplement parmi les premiers. De discrets hauts-parleurs diffusent une musique à la fois martiale et triste. Je demande s’il s’agit de l’hymne national. Non, c’est une chanson en l’honneur du Président Kim-Il-Sung. A l’intérieurs du Palais, je perds le sens de l’orientation. Il n’y a pas de fenêtre et après quelques détours, je serais incapable de me situer dans l’espace. Nous passons enfin dans une sorte de soufflerie, j’imagine destinée à ôter de nos cheveux et habits toute trace de poussière, nous entrons dans la salle du Mausolée lui-même. Au centre, le corps du Président, en costume est recouvert d’un drapeau nord-coréen. Il repose au milieu de cette pièce immense, sous un « coffre » de verre ou plexiglas, l’endroit est sombre, une lumière rouge tombe du plafond et la musique solennelle est plus présente. Des soldats gardent la pièce aussi immobiles que feu le président.

Nous défilons, petit groupe par petit groupe autour du corps et nous inclinons. A la sortie de la pièce, nous contemplons des vitrines dans lesquelles sont exposés les diplômes et récompenses officielles reçues par Kim-Il-Sung. Dans la salle suivante (ou était-ce la précédente ?), un wagon de chemin-de-fer (un wagon de-chemin-de-fer, oui), et, au mur, une carte du monde sur laquelle sont inscrits tous les voyages effectués par le Président, le nombre de pays visités, de kilomètres parcourus, leurs voitures officielles…

Puis, après un trajet dans les couloirs du Palais, même parcours – jusque à la soufflerie – pour le deuxième corps, celui de Kim-Jong-Il. Même décorum. Salle des récompenses, salle des voyages, wagon. Mademoiselle Ri nous dit que le Général est mort dans ce wagon. Je regarde la salle, le wagon…. je demande à notre guide comment on a réussi à placer un wagon dans un Palais. Elle me répond que la technique nord-coréenne est très avancée !

Un de mes compagnons de voyage, pas très bien réveillé, nous demande pourquoi on nous a fait passer deux fois exactement au même endroit. Il n’a pas remarqué qu’il s’agissait de deux personnes différentes reposant dans deux salles différentes, tant la mise en scène était semblable pour les deux. Mais tout de même, Kim père et Kim fils sont loin d’être jumeaux !!

A la fin de la « visite », nous récupérons les appareils photo et nous promenons dans le parc impeccablement entretenu. Notre guide nous désigne les deux ailes du bâtiment en précisant que le Président était dans l’aile droite alors que le Général reposait dans l’aile gauche. Bien obligé de la croire sur parole.

Egalement à l’extérieur de la ville, nous visitons le cimetière des martyrs de la révolution. A flanc de colline, une centaine de héros nationaux reposent, sous des bustes en bronze les représentant. Quatre dates figurent sur les pierres tombales : la naissance, l’entrée en résistance, l’adhésion au Parti, le décès. Une tombe, au sommet, est particulièrement fleurie et respectée : celle de la femme de Kim-Il-Sung, considérée comme la mère de la patrie. Même s’il s’agit d’un cimetière, le cadre, la jolie vue sur Pyongyang au loin, et le contraste avec l’ambiance du Mausolée donnent à cette promenade une atmosphère légère.

Cimetière des Martyrs

Cimetière des Martyrs

Nous rentrons en ville pour le repas de midi pris au restaurant chinois de l’Hôtel Yanggakdo, au restaurant Chinèse comme dit un des touristes français. J’ai quelques minutes d’avance sur eux et, comme j’entends que mes voisines de table sont francophones. Je me présente, elles sont Valaisannes, mère et fille, et sont arrivées trois jours après moi. Je suis tellement heureuse de pouvoir parler avec quelqu’un d’autre que mes guides ou mes compagnons français, que j’échange impressions et anecdotes. Lorsque les Français me rejoignent à table, ils monopolisent à nouveau – bien entendu – la conversation. J’ai quand même appris qu’Al Jazeera disait la vérité : Air China a bel et bien annulé ses vols directs sur Pyongyang. Elles auront donc droit à Air Koryo pour le retour. Enchantée par nos brefs échanges, j’espère les croiser à nouveau d’ici la fin du séjour. Ça ne sera pas le cas.

Nous nous arrêtons au centre-ville pour une escapade dans le métro de Pyongyang. Il est profond, la descente en escalator semble sans fin et me rappelle celle de St Petersbourg. Je demande au jeune guide stagiaire si le métro sert également d’abri en cas de guerre. Il me répond que oui puis, après avoir échangé quelques phrases avec Mademoiselle Ri, revient sur ses mots et me dit que non, il ne s’agit que d’un métro. Notre guide nous montre un plan : il y a deux lignes et une vingtaine de stations (de mémoire). Tout est propre, impeccable. Les Coréens peuvent y lire le journal local affiché dans la station. Nous entrons dans un wagon qui a dû connaître des jours meilleurs. Nous nous asseyons sous les portraits des deux Grands Leaders. Un des Français fait remarquer que le métro de Paris est beaucoup plus grand, que dans les wagons il y a des annonces vocales et des panneaux indicateurs. Mademoiselle Ri nous fait sortir à la station suivante. Je suis déçue et je ne comprends pas très bien car elle nous avait promis plusieurs stations. Nous attendons simplement le métro suivant et là je comprends : dans ce wagon-là, il y a également une annonce vocale et un panneau lumineux annonçant le parcours – dans tes dents, Paris !!

Metro de Pyongyang

Dans le wagon, je constate que le manspreading est (hélas) universel. Devant moi, une adolescente me dévisage. Je n’arrive pas à déchiffrer son expression. Curiosité ? Hostilité ? Au moment de me lever pour sortir du wagon, je lui décroche mon plus beau sourire – ouf, elle me le rend. Glace brisée !

Metro de Pyongyang

Metro de Pyongyang

Un peu agacée par le comportement de mes compagnons de voyage, je profite de longue remontée vers la surface pour échanger avec le jeune guide et lui en faire part. Comme pour me donner raison, l’un d’entre eux questionne Mademoiselle Ri sur le nombre de touristes étrangers à Pyongyang et, à peine donne-t-elle une réponse, qu’il dit « ah….. en France nous en avons 40 millions par an ». Monsieur Sin et moi ne pouvons pas dissimuler un éclat de rire. Mademoiselle Ri nous demande la raison de notre hilarité et je bafouille une vague explication comme quoi je me lamentais du manque de métros en Suisse. Je veux à tout prix éviter de déclencher une guerre helvético-française que devraient arbitrer de neutres guides nord-coréens. Le monde à l’envers !

Il faut dire qu’ils donnent de l’eau à mon moulin. Nous sortons à la place de l’Arc-de-Triomphe. Celui-ci est de quelques mètres plus grand que celui de Paris, mais, bien sûr, le Parisien est l’original et celui que le monde envie à la France, ce qui explique les multiples copies.

Arc de Triomphe

Plus tard, alors que Mademoiselle Ri veut parler du marathon de Pyongyang et de son vainqueur coréen. Le Français qui n’a entendu que le mot marathon pense qu’on parle de celui de Paris rétorque que non, c’est un Africain qui s’est imposé.

Nous reprenons le mini-bus pour partir vers le nord, dans la région des Monts Myohyang, région qu’appréciait beaucoup Kim-Il-Sung. Je sais, pour avoir repéré l’endroit sur une carte, que nous passerons non loin de Yongbyon, l’endroit où se développe le programme nucléaire nord-coréen. Je vais éviter d’aborder le sujet. L’autoroute me semble encore plus désert que les autres. Nous avons croisé 2 véhicules en 200 kilomètres.

Nous arrivons tôt à l’Hôtel Chongchon à Hyangsan. On nous informe que l’eau chaude est rationnée. Nous n’y aurons accès que deux heures le soir et le matin. C’est amplement suffisant. La chambre est curieuse. Le lit très dur, les prises électriques ne marchent pas. La télévision qui date du siècle dernier est en panne. Il fait 30 degrés et pas moyen d’éteindre le chauffage. L’air conditionné est hors service. Kim merci, j’arrive à ouvrir la fenêtre qui donne sur l’arrière de l’hôtel et les montagnes voisines. Quelle absurdité de ne pas pouvoir éteindre le chauffage et de n’avoir que ce moyen de baisser la température de la chambre alors que je connais les soucis d’approvisionnement en énergie du pays. Heureusement la bouilloire fonctionne. Je remercie Margareth, une voyageuse chevronnée croisée à Cuba dans une maison d’hôte et qui m’avait donné sa règle numéro un : ne jamais partir en voyage sans une collection de sachets de thé.

Paysage

Autoroute

Paysage

Paysage

Avant le repas à l’hôtel, j’aimerais pouvoir faire quelques pas dehors. Nous n’avons pas le droit de nous aventurer seuls dans le village. Je me console à l’idée de la petite promenade en montagne prévue pour le lendemain.

Nuit étouffante malgré la pluie. Au matin, la température a enfin atteint 22 degrés.

(à suivre)

Paysage

Paysage

Paysage

Paysage

Paysage

Paysage

Paysage

Jour 6 – Samedi 15 avril 2017 – Juche 106 – Pyongyang

Le 15 avril est un jour de grande fête. C’est la date anniversaire de Kim-Il-Sung, grand soleil. Jour, donc, du soleil.

Nous partons en bus pour la « colline avec une très belle vue », traduction approximative de Mangyongdae où se trouve, restaurée, la maison natale de Kim Il Sung dans un charmant parc arborisé. On admire la chambre, la cuisine, les outils, la jarre déformée parce qu’ils étaient trop pauvre pour avoir une jarre normale. Bien qu’il soit encore très tôt, la file de touristes et de locaux s’allonge vite. D’après la légende, Kim a quitté sa famille à l’âge de 13 ans et a promis de ne revenir que lorsqu’il aurait bouté les Anglais hors de France, ou peut-être les Japonais hors de Corée.

Le moment où Kim-Il-Sung adolescent quitte sa famille pour conquérir le monde

Jarre déformée de Kim-Il-Sung

Tout proche se trouve l’entrée d’un parc d’attraction. Il est désespérément vide. Quand donc s’amusent-ils ? On me répond que l’heure d’ouverture n’est pas encore atteinte. Soit. Il est effectivement 9 heures du matin et quelques enfants sont devant les portes.

Parc d’attraction

Retour en ville et visite du monument de la Fondation du Parti des Travailleurs de la Corée : immense sculptures des les trois symboles de la politique du parti. Le marteau et la faucille, bien connus, auxquels s’ajoute le pinceau de l’intellectuel. C’est une des rares réalisations architecturales dues au Général Kim-Jong-Il, le fils du Président et père du Maréchal. Sa construction a été achevée en 1995. Il est situé dans l’axe des deux grandes statues où nous nous étions au jour 2 de notre voyage. Depuis là, on peut également voir, loin derrière les statues, la silhouette inimitable de l’hôtel Ryugyong.

Statues et Hotel Ryugyong

Les urbanistes s’en sont donné à coeur joie avec les perspectives. Il faut dire qu’après la guerre, tout était à reconstruire et je me suis imaginée de grands enfants jouant à un Sim City géant !

Sur cette grande esplanade, les Coréens se promènent, prennent l’air et le soleil. Ils bavardent, ils sourient. C’est jour de fête !

Jour de fête à Pyongyang

Alors que je m’étais étonnée auprès de mes guides de n’avoir croisé aucun chien ou chat dans les rues, ils m’avaient assurés que les animaux de compagnie étaient pourtant courants. Eh oui, j’ai en effet vu mon premier caniche ! Le fait qu’il soit rapidement entouré d’une nuée d’enfants voulant jouer avec lui contredit un peu cette assertion. Ça ne devait donc pas être si banal. Nous avons plaisanté sur le fait que le chien étant un plat courant, les enfants étaient sans doute en train de vouloir chasser leur déjeuner ! C’est une petite victoire que d’arriver à arracher quelques rires à mes guides.

Jeune Coréenne chassant

Tout proche de là se trouve le musée de la Culture. Nous avons le temps de visiter quelques salles (portraits, photographiques et peints des Grands Leaders et de leurs hautes oeuvres ainsi que des paysages forgeant la mythologie du pays) lorsque notre guide nous fait signe de la suivre, vite vite vite.

Monument de la fondation du parti

Monument de la fondation du parti

Dans une salle fermée du musée, un écran de télévision retransmet en direct le défilé militaire sur la place Kim-Il-Sung. Nous avons manqué le début mais assistons, par écran interposé, à cette impressionnante parade qui se déroule, grosso modo, à un kilomètre de nous. Des chars, des missiles, des soldats par millier défilent au pas de l’oie. Cette démarche semble tellement peu naturelle que j’ai pitié des soldats et crains le pire pour celui qui se louperait devant le Maréchal tant aimé. Au fond de la place, des chorégraphies forment les drapeaux du parti et du pays. C’est ce dont nous avions vu un entrainement quelque jours plus tôt, depuis le sommet de la tour du Juche.

Monument de la fondation du parti

Au bout d’une heure, nous retournons à pied au bord de la rivière où nous visitons une exposition florale. Celle-ci est principalement destinée à présenter deux espèces : la Kimilsungia et la Kimjongilia (oui, sérieusement). Beaucoup de Coréens prennent la pose devant les parterres.

Exposition florale

Pour traverser une avenue, pourtant déserte, nous empruntons un passage sous-terrain piéton. Ebahie devant sa propreté alors que je sais que celui de mon quartier est recouvert de graffitis et d’une salubrité douteuse, je le dis au jeune guide qui me répond « mais chez nous c’est interdit d’écrire sur les murs ». Chez nous aussi, Monsieur Sin. Pour ce que vaut une telle interdiction…

On prend la pose

Nos guides nous entrainent ensuite à quelques centaines de mètres le long d’une avenue. « Nous allons voir le défilé ! » Moment d’incompréhension, n’avait-il pas eu lieu quelques heures plus tôt sur la place Kim Il Sung ? Oui, mais là ils défilent pour le peuple. Nous arrivons à temps pour voir quelques chars et autres camions transportant du matériel de guerre lourd, puis arrivent les soldats.

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Alors que le matin, ils faisaient travailler leurs jambes, l’après midi c’est leurs bras. Assis à l’arrière d’une quantité de camions, ils saluent la foule, grands sourires aux lèvres. La foule ne les applaudit pas, elle les salue en retour, du geste, de la voix. Sourires forcés ? Je vous laisse juges des images.

Je ne sais pas combien de temps a duré ce défilé de camions, je ne sais pas non plus combien il y en avait, mais ils étaient nombreux, si nombreux, ses jeunes hommes, ces jeunes femmes. Et là, soudain, j’ai repensé aux mots de Trump qui voulait régler une fois pour toute le problème Nord-Coréen. Oui, c’est ces « gamins » là qui seront les premiers à tomber si la guerre se déclenche. Je me suis retrouvée à baisser mon appareil photo et à leur rendre leur salut. Ils ont l’âge de mes enfants. Quelle chance j’ai donc de pouvoir élever les miens là où ils ne seront pas de la chair à canon. Combien étaient-ils ? Des milliers. Trop.

A un moment donné, mes deux petits camarades de voyage, trouvant qu’il était trop difficile de prendre des photos à contre jour, et ayant repéré un nid de Coréennes en habits traditionnels de l’autre côté de la route, ont profité d’une accalmie entre deux séries de camions pour traverser la route. Panique chez les guides !! Ils ont passé le reste du défilé près de moi tout en fixant les deux français de l’autre côté de l’avenue.

En retournant à notre mini-bus, le jeune guide, M. Sin, s’est arrêté dans un de ces petits kiosques qui longent les plus grands boulevards et en est revenu avec des glaces pour chacun. Ça ne valait bien sûr pas une Mövenpick (on est Suisse ou on ne l’est pas), mais c’était ma foi tout à fait acceptable, et très apprécié en ce jour printanier.

Fin de journée au cirque de Pyongyang. Mes souvenirs de cirque datent des représentations scolaires du Knie lorsque j’étais enfant. Pour moi, c’était surtout les animaux et les clowns sous un chapiteau mobile. Autant dire que j’ai été dépaysée. Notre guide nous avait dégoté des places au premier rang. Voilà que mon voisin me dit « s’il y a des clowns et qu’ils font intervenir le public, ça sera pour nous ». Le spectacle s’ouvre par une petite cérémonie à la gloire de Kim-Il-Sung. Est-ce habituel ou à l’occasion du 15 avril ? Puis, un tour après l’autre, nous avons droit à ce qui se fait de mieux en matière d’acrobatie, de gymnastique, de trapèze, entrecoupé par un tour de « clowns » au cours duquel, je vous le donne en mille, je me suis retrouvée à faire tourner une assiette sur une baguette ! Merci pour la participation du public !! En parlant de public, je dirais qu’il était composé à 3/4 de Coréens pour 1/4 de touristes. J’avoue volontiers mon ignorance en matière de spectacle de cirque, mais je veux bien croire que celui-ci était de toute grande qualité. On nous a déconseillé de prendre des images afin de ne pas perturber les numéros, j’en ai volé quelques unes à l’aide de mon téléphone, mais la qualité est loin d’être au rendez-vous. Sinon, j’ai bien sûr eu droit à une étude comparée du Cirque de Pyongyang et du cirque d’Hiver à Paris.

Nous mangeons le soir à l’hôtel Koryo, l’autre grand hôtel international de Pyongyang, situé, lui, au milieu de la ville. Mademoiselle Ri, la guide, me demande pourquoi je voulais visiter la Corée du Nord et je lui parle de Syracuse. la chanson de Salvador (également une belle version par Montand). J’aime tellement ce moment qui dit « Voir le Pays du Matin Calme…. » que ça a été le départ de cette idée. Elle me fait promettre de lui écrire les paroles. Le soir, à l’Hôtel, je m’exécute. J’ai failli lui suggérer de regarder sur Google.

Avant de rentrer, nous nous arrêtons au bord du fleuve pour les feux d’artifices (évidemment moins impressionnants que ceux du 14 juillet). Est-ce vraiment partout dans le monde, la fin obligée d’une fête nationale ? Ils sont beaux, tirés depuis un pont sur lequel défilaient les soldats plus tôt dans la journée. Mais, encore dans mes pensées sinistres de l’après-midi, je ne peux m’empêcher de me représenter, derrière le bruit des fusées, celui des missiles et des canons.

Au bureau de poste et télécommunication de l’hôtel, il y a deux appareils et quelques personnes font la queue. Privée de contact avec ma famille depuis 5 jours, je décide de les appeler. Tout va bien, à vue de nez le jeune Maréchal n’a pas fait d’essai nucléaire ou de tir de missile. Les chatons grandissent, le temps est maussade et on s’apprête à cacher les oeufs dans le jardin.

Cirque de Pyongyang

Le soir, sur Al Jazeera, j’apprends que les gros tubes verts vus le matin à la télévision inquiètent la communauté internationale. Il s’agirait de missiles jusqu’ici inconnus et qui pourraient s’avérer intercontinentaux.

Cirque de Pyongyang

Air China a par ailleurs annoncé qu’elle annulait ses vols sur Pyongyang – Est-ce pour plaire aux Etatsuniens ? Je vole sur Air Koryo car on a le sens de l’aventure ou on ne l’a pas 🙂 Mais je compte sur mes doigts…. Dimanche, Lundi, Mardi fin du séjour.

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Feux du 15 avril

(à suivre)

 

Associated Press à l’Hotel Yanggakdo

Jour 5 – Vendredi 14 avril 2017 – Pyongyang – Nampo – Pyongyang

En descendant au rez-de-chaussée pour prendre le petit-déjeuner, l’ascenseur s’arrête à l’étage numéro 7, sort du noir une guide Nord-Coréenne, reconnaissable à son badge. Sort du noir ai-je dit, car aucune lumière n’illumine l’étage. Pour en avoir parlé avec d’autres touristes, tous ont fait la même expérience. Etage 7 = noir absolu. Au rez-de-chaussée, près du restaurant où nous prenons notre petit-déjeuner, deux tables avec fax, horloges reglées sur plusieurs fuseaux horaires, panneaux « Associated Press », ordinateurs portables, caméras, valises de matériel audio-visuel. La guerre déjà ? Non, on me dit qu’ils sont là pour couvrir la grande fête du 15 avril, anniversaire du Kim-Il-Sung, le lendemain donc.

Nous partons dans notre fidèle minibus vers l’Ouest pour visiter un immense barrage à Nampo. L’autoroute est encore plus grand et, oui c’est possible, en plus mauvais état que celui qui mêne au Sud. Arrivée sur place, panne de courant. Une fois celle-ci terminée, on nous emmène dans une salle où trône une maquette de la construction et un grand écran plat. Projection d’un film d’une quinzaine de minutes sur la réalisation de cet ouvrage, ma foi très impressionnant. Ce barrage avec des écluses fait 9 kilomètres de long et est le passage obligé de tous les bateaux. Il assure l’irrigation d’une bonne partie des terres de l’Ouest, jusqu’à Pyongyang.

Barrage de Nampo

Barrage de Nampo

Pour une Valaisanne comme moi, un barrage doit produire de l’électricité. Ce n’est pourtant apparemment pas le même but pour celui de Nampo. J’ai utilisé mon ami Google à mon retour, qui n’a pas su m’éclairer – dommage pour un tel sujet.

En parlant de Google, avant mon départ, j’avais, à l’aide du programme du voyage et de google maps, préparé et imprimé un itinéraire. En me voyant le consulter la guide m’a demandé ce que c’était. Je lui montre la carte, les trois points hors de Pyongyang qui correspondaient à nos excursions. Elle prend la feuille, la regarde longuement, me la rend en demandant : « Qu’est-ce que c’est *Google* ? »…

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« Qu’est-ce que c’est *Google* ? »
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Cette question, dans la bouche d’une jeune femme de 26 ans trilingue, universitaire, fille de diplomate. Où ailleurs qu’en Corée du Nord pourrait-on la poser ?

« C’est un site internet où on trouve beaucoup d’informations ».

Voilà.

Au retour vers Pyongyang, nous aurions dû pique-niquer et voir un temple mais la pluie nous en empêche. Comment un pique-nique pourrait-il nous priver de la visite d’un temple ? Maintenant que j’ai vu l’état des routes hors de localités, je comprends mieux. Nous reprenons donc le chemin de la capitale où nous mangeons dans un restaurant – désert. L’après-midi est bien occupée par la visite d’une sorte de cité des sciences, réalisation nouvelle ouverte en 2016 à l’impulsion du Grand Maréchal que nous aimons tant. Une des premières choses que nous admirons est une agora. Le siège où Kim-Jung-Un a posé le sien est à jamais marqué d’un plot rouge et malheur à qui voudrait s’y asseoir à son tour. Diverses salles et expositions plus ou moins interactives et très désertes se suivent et ressemblent à ce qu’on peut admirer dans bien des villes du monde. Seules les expositions destinées aux enfants comptent quelques jeunes visiteurs. Etant assez friande ce ce type d’attractions, j’ai regretté de ne pas comprendre les explications écrites en Coréen.

Cité des sciences

Cité des sciences

Cité des sciences

Ailleurs, d’autres salles comptent des dizaines d’ordinateurs, certaines sont dédiées aux enfants et n’offrent qu’un accès à l’intranet du musée. D’autres sont destinées à toute personne majeure qui le souhaite et donnent accès à, je cite, l' »Intranet » qui est, à ce que j’ai compris, l’internet purement Nord-Coréen. Toute personne ? Mais où sont les visiteurs ? Le bâtiment est quasiment désert. Y-a-t-il des heures pour les touristes et des horaires pour les autres ? Pas de réponse. Le bâtiment est d’aspect moderne et alimenté, à ce qu’on nous dit, entièrement à l’énergie renouvelable.

USS Pueblo

 

Musée de la Guerre

Musée de la Guerre

Départ ensuite pour le Musée de la Guerre qui parle principalement de la celle de Corée (1950 – 1953). Celui-ci comporte une partie extérieure dans laquelle les photos sont autorisées, et un bâtiment neuf destiné à glorifier les héros nationaux et démontrer les atrocité des autres. A l’extérieur, sur la rivière Pothong, est stationné l’USS Pueblo, navire Etatsunien capturé par la Corée du Nord en janvier 1968. Dans le musée, nous avons droit à nouveau à un petit film en français, dont le commentaire, déclamé sur fond de musique martiale, nous dépeint le déroulement de la guerre, vue du Nord. Nous sommes, comme dans chaque point touristiques, accompagnés d’une guide locale. Ces dernières sont usuellement habillées d’une robe traditionnelle très colorée et ample qui dissimule leurs formes. Celle qui nous a escortés au musée de la Guerre porte un uniforme militaire près du corps. Alors qu’en général j’ai regretté le manque de communication possible avec les Nord-Coréens, j’étais infiniment heureuse que cette guide ne comprenne pas le français et ait été épargnée par les commentaires douteux de mes compagnons de voyage.

La suite de la visite se déroule un peu en dehors de la ville, aux studios de cinéma de Pyongyang. En fait de studios, nous avons vu des décors extérieurs en dur. Des rues faites d’anciens temples et bâtiments de l’époque Koryo, des ruelles bordées de chaumières, un quartier européen, une rue chinoise, une rue japonaise. Il aurait fait bon y flâner mais la pluie décidément voulait gâcher notre journée.

Décor de cinéma

Décor de cinéma

Décor de cinéma

Avant de rentrer, nous mangeons dans un restaurant, bondé cette fois, mais uniquement d’européens. J’y retrouve entre autre, quatre jeunes romands croisés déjà à l’aéroport et à l’hôtel. Les quelques milliers de touristes qui visitent chaque année la République Populaire Démocratique de Corée doivent faire tourner une sorte d’économie parallèle. Ce sont les seuls clients des restaurants que j’ai vus, des boutiques de souvenirs où on nous a trainés, les principaux clients également des hôtels.

Retour au nôtre. Les tables d’Associated Press sont toujours là.

Je passe le reste de la soirée à regarder Al Jazeera. Les préparatifs de la fête du Soleil – le lendemain – vont bon train. Trump a décidé d’envoyer un porte-avion dans les parages et son vice-président dans la région. Tous craignent que le jeune Kim ne profite de la grande fête pour lancer plus qu’un feu d’artifice dans le ciel du pays du matin calme.

 

Coucher de soleil sur Pyongyang

(à suivre)

Jour 4 – 13 avril 2017 – Kaesong – Pyongyang.

 

Après le petit-déjeuner à l’Hôtel « Folklorique », on se rend dans la montagne pour atteindre le temple bouddhiste Kwanumsa. En chemin (de terre, escarpé, tortueux), notre chauffeur se perd et nous nous retrouvons aux portes d’une base militaire. Il est tôt, le soldat dort debout dans sa guérite. Attention ! On ne photographie pas les soldats – surtout endormis – à quelques kilomètres de la frontière.

Ce temple bouddhiste érigé dès 970 est remarquablement bien conservé et restauré. Les guides nous font remarquer que, contrairement à Pyongyang entièrement détruite lors de la Guerre de Corée, la région proche du 38ème parallèle a été passablement épargnée. L’endroit, par son isolement sans doute, dégage une grande impression de sérénité. Sommes-nous vraiment à si proches de la frontière la mieux gardée au monde ?

Temple Kwanumsa

Temple Kwanumsa

Retour vers Kaesong et, en chemin, vision d’un autre monde. Au cours d’eau d’une rivière, des villageois font leur lessive. En ville, visite de Sungkiunkwan, anciennement la plus grande université de Corée sous la dynastie Koryo. Cet établissement est maintenant un musée, considéré comme trésor national. Dans ses alentours immédiats se trouve la nouvelle université, spécialisée dans les nanotechnologies, la biotechnologie et l’informatique.

Départ enfin pour un passage obligé de tout touriste qui visite la Corée : la DMZ ou zone démilitarisée. A un check point plus sévère que les autres, nous descendons de notre minibus, nous sommes contrôlés, avons droit à un briefing dans une salle où on nous montre, cartes à l’appui, la ligne démilitarisée et la partition de la Corée. Puis nous embarquons avec un soldat dans un autre véhicule.

Frontière – Corée du Sud

Les militaires, dans cette zone de quatre kilomètres (deux de part et d’autre de la frontière) n’ont pas le droit de porter une arme autre qu’un pistolet pour leur protection individuelle. En chemin, nous longeons des champs cultivés. La DMZ est peut-être démilitarisée, mais pas inhabitée.

Arrêt dans la salle des négociations et dans celle où le traité d’armistice a été signé. Au milieu des azalées et des forsythias en fleurs, j’avoue avoir de la peine à imaginer la tension qui y a pu y régner. Nous y apprenons que la Corée n’est qu’un pays pour deux gouvernements,

Table des négociations

que les deux parties de la Corée rêveraient de se réunir. Ce qui rend cette union impossible, c’est uniquement la faute des (méchants) (impérialistes) Etatsuniens.

Ici, je souhaite préciser que je ne rapporte en aucune manière l’opinion des Nord-Coréens en général, tout au plus celle de nos guides car ils sont les seuls avec qui j’ai pu avoir des conversations. Il aurait été facile de tout remettre en doute, de pointer du doigt la moindre contradiction, de rire ou de se moquer, mais à quoi bon ? Je n’aurais fait changer d’avis personne et au pire, ça aurait pu se révéler dangereux pour mes guides si ce n’est pour moi.

L’armistice a été signée par la Corée du Nord et la Chine d’un côté et l’ONU de l’autre. La Corée du Sud ne l’a jamais signé et les deux moitiés de pays sont, de fait, toujours en guerre.

Encore un petit trajet en bus et nous sommes maintenant à la frontière même, à 15 mètres de celle-ci, mon téléphone vibre et des dizaines de notifications s’affichent sur l’écran. J’ai capté un réseau du Sud. Le temps d’envoyer un message à la maison.

Six baraquements se font face, à cheval sur la ligne de démarcation. Les bleus sont ceux du Sud, les blancs ceux du Nord. Les soldats du Nord sont de sortie, ceux du Sud sont invisibles. Face à face, deux bâtiments rectangulaires accueillent les touristes. Nous montons sur la terrasse et pouvons enfin prendre autant d’images que nous le souhaitons, y compris, à notre grand étonnement, des soldats souriants qui assurent les visites.

Autoroute Pyongyang – Kaesong.

Un jour, peut-être, je visiterai la DMZ depuis le Sud et je prendrai l’image inverse. Le bâtiment du Nord vu de celui du Sud.

J’ai demandé aux guides où étaient les touristes du Sud et n’ai obtenu qu’un « pas là » avec un rire gêné. Je crois savoir qu’ils se concertent et harmonisent les heures auxquelles ils amènent « leurs » touristes afin qu’ils ne se croisent pas. Dommage, j’aurais bien aimé faire « coucou » à Mike Pence. Pour la petite histoire, il y est venu quatre jours après moi.

Que n’ai-je pas entendu sur cette DMZ, du mur construit par le Sud au mépris des conventions internationales, aux tunnels creusés par le Nord au mépris d’accords. Drapeaux géants de part et d’autre (j’en ai vus, de grands, mais pas de géants), propagande hurlée par des

Autoroute Pyongyang – Kaesong

haut-parleurs. A ce sujet, j’ai effectivement entendu au loin quelque chose d’approchant, sans, bien sûr, savoir ce qui se disait ou même de quel côté provenait le bruit. A ma question, la guide a tendu l’oreille puis m’a répondu « c’est la radio ». C’était donc la radio  J’ai aussi lu que la DMZ était couverte de mines. De ce que j’ai vu, elle était plutôt, dans la région de Kaesong, couverte de champs cultivés.

 

Retour en ville pour le repas – délicieux et copieux. A nouveau, dans le restaurant, nous ne trouvons que des touristes et leurs guides. Les guides parfois mangent à notre table, parfois à une autre table, parfois encore ils disparaissent et mangent vraisemblablement entre eux dans une autre salle. Aucune logique, aucune systématique dans le fait qu’ils se joignent à nous ou pas. J’ai apprécié de pouvoir parfois partager leur repas ce qui me permettait d’échapper un peu au cours d’histoire et de géographie sur les grandeurs et réalisations de la France. Le restaurant se situait sur une avenue traversant la ville, au pied d’une colline sur laquelle se trouvaient, comme dans chaque localité visitée, les statues des deux Grands Leaders.

Temple Songbul

A ce moment du voyage, je commence à comprendre que le « parti », le « système », le « Juche » est semblable à une religion et que les Kims sont de vrais dieux. Chez eux, tout le monde est croyant, tout le monde est « Kimiste », tout le monde est un fanatique, si ce n’est au fond de son coeur, au moins en apparence. Il faut dire que chaque Nord-Coréen porte sur son coeur un pins à l’image de Kim I oui Kim II, parfois les deux.

 

Le jeune guide m’a dit, comme en confidence, lors du trajet en bus, « Vous savez, nous aimons *vraiment* *beaucoup* le maréchal Kim-Jung-Un ». Je n’ai pas su que faire de cette affirmation. Tout d’abord il m’est venu à l’idée que, quelle que soit mon orientation politique, il ne me viendrait jamais à l’idée de dire « Vous savez, nous aimons vraiment beaucoup Doris Leuthard ou Johann Schneider-Amman ». Tout au plus nous les apprécions, admirons, ou pas. Mais à aucun moment je ne pourrais dire « Les Suisses aiment vraiment beaucoup leur président(e) ». Est-ce que c’était une mise en garde « Attention, on ne dit pas de mal de notre Dieu vivant sous peine de représailles » ? ou une demande « Si vous en dites du mal, vous nous briserez le coeur » ? Je ne saurai jamais. Mais ce moment, cette quasi confidence, me trotte dans la tête.

Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons au temple de Songbul avec son moine si souriant. Que j’apprécie ces visites sans propagande autre que « ce temple a miraculeusement survécu aux destructions des guerres que se sont abattues sur notre pays » et « le régime finance la restauration et la préservation de ce lieu » avec l’aide des visiteurs invités à laisser quelqu’argent. Ces temples perdus dans la

Temple Songbul

nature sont par ailleurs exempts des boutiques où les touristes achètent moult cartes de propagandes ou autres livres réunissant les pensées profondes d’un ou l’autre Kim.

Retour à Pyongyang par le bus, sur cet autoroute gigantesque, désert, cahotique. Arrêt d’une vingtaine de minutes à un « restoroute », petite structure avec WC, places de parc et stand où on peut acheter nourriture et boisson. Ici encore, uniquement des bus et minibus de touristes et leurs chauffeurs – guides. Et ce n’est pas tout, je réalise que je vois souvent les mêmes têtes. J’ai un peu l’impression de me retrouver dans un Truman Show géant.

Hotel Yanggakdo, Pyongyang

Après un repas à Pyongyang, nous retournons à l’Hôtel Yanggakdo où nous poserons nos valises pour quelques nuits. Alors que l’hôtel fait 47 étages et donc un nombre important de chambres, on nous attribue les mêmes que lors de la première nuit. Ce n’est pas pour me déplaire, la mienne a une belle vue sur le fleuve. Je me branche sur Al Jazeera et apprends que les tensions sont grandes dans la péninsule Coréenne et que le monde redoute un tir de missile ou un essai nucléaire de la part du Maréchal Kim-Jung-Un, celui que « nous aimons beaucoup ».

Pyongyang la nuit

Jour 3 – 12 avril 2017 – Pyongyang – Kaesong

Réveil au doux son de hauts parleurs diffusant, loin dans la ville, de la musique militaire.

Après un petit-déjeuner à l’hotel Yangakkdo, nous partons pour ce qui est normalement la première étape de tout séjour en Corée du Nord : la colline de Mansudae et ses grand Leaders. À l’origine il n’y avait que la statue de Kim-Il-Sung. Celle de Kim-Jung-Il a été rajoutée. Avant de pouvoir prendre des photos, le groupe doit montrer son respect en apportant un bouquet de fleurs et en s’inclinant bien bas. Ensuite seulement, nous pouvons dégainer les caméras. Les guides veillent à ce que nous cadrions bien les respectés dirigeants en entier et de face. En repartant, nous croisons un groupe de soldats puis d’enfants venus à leur tour s’incliner devant les statues.

Enfants en route vers les statues des Grands Leaders

Kim-Il-Sung et Kim-Jong-Il

Visite au pas de charge du Musée de la Révolution. Une guide locale débite ses explications traduites au vol par notre guide attitrée. Aucune image n’est permise à l’intérieur. Nous sommes les seuls présents, comme si le Musée n’avait été ouvert que pour nous. Il en va de même pour le Musée de la philatélie dont les timbres proclament la gloire du pays, de son régime, de ses leaders, ainsi que, dans une moindre mesure, la beauté de la faune et de la flore locales.

Tour du Juche

Départ pour la Tour du Juche que nous avions pu admirer de loin la veille. A la base, moult plaques sont offertes par des admirateurs du monde entier. Nous payons 5 euros pour prendre l’ascenseur jusqu’au sommet. L’avantage de la vue depuis la tour, c’est que c’est le seul endroit de Pyongyang où on ne peut pas voir la tour du Juche.

Musée de la révolution

Le point de vue spectaculaire nous permet entre autre d’admirer l’hôtel Ryugyong qui domine le ciel de la ville, immense pyramide de 105 étages dont la construction a débuté dans les années 80 et a été interrompue à de multiples reprises faute de financement. La seule chose que nous avons pu obtenir de nos guides c’est qu’il est encore en construction. En regardant vers le bas nous apercevons comme une nappe rose, Il s’agit de figurants qui s’exercent pour la grande fête du soleil (le 15 avril). Ils forment des figures vues du ciel : le drapeau du parti ou celui de la Corée.

Depuis la tour du Juche

Après un repas dans un restaurant de Pyongyang où nous sommes les seuls clients, nous prenons la route en direction du sud et de la ville de Kaesong. L’autoroute commence sous l’Arche de la réunification où les statues symbolisant les deux Corées portent la silhouette du pays réunifié.

Arche de la réconciliation

L’autoroute…. ça a la largeur d’une autoroute, la longueur d’une autoroute, mais ça manque singulièrement de pistes. Ce qui permet au chauffeur de zigzaguer pour éviter les nids de poule. En effet, la chaussée est défoncée, ce qui rend très compliqué les prises de vues,… et la sieste. A plusieurs reprises, nous sommes arrêtés pour des contrôles. C’est la route qui mène au Sud, à l’autre Corée. En chemin, nous dépassons des vélos, même des piétons. A part quelques autres minibus de touristes ou véhicules militaires, il n’y a pas de circulation.

Le paysage est lunaire, le sol semble très sec même s’il est partout cultivé. Nous voyons des paysans dans les champs, quelques boeufs, un tracteur par ci par là, mais surtout des dos courbés vers le sol.

A l’arrivée à Kaesong, visite de la tombe du roi Kongmin et de la princesse Noguk (1365). Le jeune guide me dit (mais c’est un secret) qu’entre les deux tombeaux, il y a un trou qui permet aux défunts de communiquer l’un avec l’autre dans l’au-delà.

Gardien du tombeau de Kongmin

Tombeau du roi Kongming

Le soir, nous dormons dans un hôtel « folklorique » à Kaesong. Nous profitons d’une démonstration de fabrication de galettes de riz, puis d’un repas et d’une nuit à même le sol, ce qui a permis à mes compagnons de voyage de demander chaque soir à nos guides, pendant la suite du voyage, si nous allions *encore* devoir manger et dormir par terre. Précisions à toutes fins utiles que le repas était, comme chaque fois, absolument délicieux et que la nuit fut confortable. En revanche nous avons droit à un minuscule échantillon de ce que les Coréens du Nord doivent affronter au quotidien : plusieurs coupures de courant pendant la soirée et la nuit ainsi qu’un rationnement d’eau chaude. La vie semble plus compliquée une fois qu’on s’éloigne de la capitale.

Fabrication de galettes de riz

Repas à l’hôtel folklorique

Demain : visite de la zone militarisée.

(à suivre)