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Jour 8 – Lundi 17 avril – Juche 106 – Mt Myohyang – Pyongyang. Début du jour 9 – Mardi 18 avril Juche 106.

Poyon

Il pleut à verse. Nous nous dirigeons vers le temple de Poyon, merveille bâtie au temps de la dynastie Koryo, au XIeme siècle. Le cadre est à couper le souffle et j’aurais voulu m’y arrêter toute ma vie ou presque. Je devais être la seule de cet avis car nous traversons le site au pas de charge (la pluie, le vent, le fait que ce ne soit pas un monument à la gloire du régime, que sais-je ?). Dans le minibus, notre guide est inquiète. L’après-midi doit être consacré à une « promenade en montagne » mais le temps ne le permettra sans doute pas. Elle nous propose une alternative : concert symphonique ? Oh oui, m’écriai-je. Oh non ! Rétorque un de mes compagnons de voyage. Pas de concert donc. Je suggère la visite du Palais des Enfants ? C’est lundi, donc impossible. Retour à l’Hôtel de Pyongyang pour préparer nos bagages ? Mouais….. je ne vais pas passer 5 heures à fermer ma petite valise.

Mt Myohyang

Nous en sommes là de nos réflexions lorsque nous arrivons au « Salon d’exposition de l’amitié internationale », bâtiment imposant qui accueille les cadeaux offerts aux Grands Dirigeants sur trois générations. A chaque arrêt touristique, une guide locale nous accueille. C’est le cas ici également et je dois dire que celle qui nous est attribuée aujourd’hui est particulièrement remarquable. Non par sa beauté – qui est éclatante – ni par sa robe traditionnelle – c’est traditionnel – mais par sa ferveur et son sourire. Contrairement aux autres guides locales qui se contentaient de réciter une leçon bien apprise, celle-ci donnait l’impression de créer un réel contact humain et de vouloir nous envelopper dans l’Amour rayonnant du Juche et de Ses Prophètes.

Palais des cadeaux de l’amitié

Le bâtiment est impressionnant vu de l’extérieur, et encore plus de l’intérieur. Il est sans doute en partie creusé dans la roche. Les photos y sont interdites, hélas. Tout de marbre et de dorure, il comporte des centaines de pièces renfermant, dans des vitrines, les cadeaux les plus extraordinaires offerts au cours des ans à Kim I, Kim II et Kim III. Nous avons visité uniquement une partie de ceux destinés à Kim-Il-Sung. Les salles sont organisées par continent et ensuite par pays. Nous pouvions demander à voir un pays du monde quelconque – nous avons choisi l’Inde un peu au hasard, puis elle nous a menés dans les salles de la France et de la Suisse. Ça allait du beau vase en cristal offert par François Mitterand à la pièce d’or célébrant le 700ème anniversaire de la Confédération envoyé par Flavio Cotti. Plusieurs cadeaux ne mentionnaient pas le nom du donateur, simplement son titre. P.ex. Doyen des Sciences Sociales de la Faculté de *****. Il y avait également beaucoup de cadeaux d’entreprise. J’ai souri intérieurement en voyant un couteau Victorinox offert, si je ne m’abuse, par le Président de l’Association d’Amitié Suisse – Corée, un certain Martin L*. Je ne censure pas volontairement son nom, simplement je ne suis pas certaine de l’avoir compris correctement. Je ne maîtrise pas encore l’Allemand avec accent coréen. C’est une véritable caverne d’Ali Baba ! Nous passons devant des armes dorées, des tableaux, des peaux d’ours, présents de tout ce que la terre a compté de dictateurs ou présidents, avec une belle moissons de représentants de l’Europe de l’Est Ceaucescu, Honecker, Jaruselski, Brejnev, etc.

Myohyang

La pièce maitresse est un avion Ilyushin, cadeau de la Russie soviétique, ou peut-être un maillot des Harlem Globe Trotters offert par Dennis Rodman, ou la peau d’un ours tué par Tito ? (Je me perds dans les détails. Il serait amusant de posséder un inventaire complet).

Le principe de cette exposition est de montrer, non seulement que les dirigeants ou autres VIP du monde entier sont béats d’admiration devant les Kim au point de les couvrir de cadeaux, mais aussi que ces derniers sont tellement détachés des biens matériels et incorruptibles qu’ils ne les utilisent pas et les laissent à la disposition des yeux ébahis de leurs ouailles. En parlant d’ouailles, nous n’étions pas seuls, pour une fois, dans ce bâtiment, qui était visité par plusieurs classes de jeunes pionniers. Ceux-ci, en rang par deux ou trois, vêtus d’uniformes scolaires et arborant un foulard rouge à faire pâlir d’envie le Renaud de la belle époque parcouraient les couloirs et nous regardaient avec curiosité. Certains osaient même un petit geste de la main.

Là encore, j’aurais voulu pouvoir ramener des images.

À la fin de la visite, la guide locale m’a demandé si je souhaitais écrire quelque chose dans le livre d’or. Après mûre réflexion j’ai pondu une banalité du genre « Les présents offerts de bon coeur favorisent la paix et l’amitié ». Après traduction, elle a eu l’air un peu déçue, s’attendant sans doute à beaucoup plus s’enthousiasme de ma part. Comme depuis le début du voyage, j’étais partagée entre mon principe absolu de respecter les pays que je visite et leurs valeurs, leurs croyances, aussi absurdes puissent-elles me paraître, et ma ferme résolution de me pas cautionner le régime des Kim. Ça m’apprendra ! J’ai dû m’extasier un peu trop fort devant les aigles naturalisés, les vases Ming ou les Tour Eiffel miniatures.

Nous terminons la visite par la terrasse qui donne sur la vallée. Un paysage de montagne sous la pluie, très Wagnérien.

En parlant de musique, nous avons passé quasiment tous nos trajets à écouter le même DVD (il y avait un petit écran sur le tableau de bord, là où dans nos véhicules se trouverait l’écran du GPS. Comment diable le chauffeur peut-il conduire en regardant des clips videos ?) La musique était celle du groupe Moranbong, un ensemble entièrement féminin dont les membres ont été choisies par Kim-Jong-Un himself. Au bout de deux ou trois jours, j’avais l’impression de connaître par coeur les chansons. Le style, très pop, aurait sans doute beaucoup de succès à l’Eurovision. Je demande à M. Sin de quoi parle la chanson la plus « collante », celle qui, à mes oreilles fait « Kalimiraaaaa, Kalimiraaaa ». Il me répond qu’elle dit « Allons au Mont Paektu ». Le Mont Paektu est *la* montagne sacrée de la Corée du Nord, le point culminant de toute la péninsule, dont on voit des fresques un peu partout dans le pays. Je suis déçue, moi qui espérais qu’on allait me conter une histoire romantique. Je chantonne un autre air, également entraînant, et demande de quoi il parle. « C’est la chanson du drapeau du parti ». Raté encore !

Myohyang

Myohyang

Après le repas, la pluie a cessé, et comme je n’ai pas réussi à convaincre mes camarades d’aller écouter un concert symphonique, nous tentons de tenter la balade en montagne. Je suis Valaisanne, comme vous le savez, et donc, lorsqu’on me parle de montagne, je ne vais pas me laisser impressionner. Après quelques kilomètres de route, le minibus s’arrête non loin d’une chute d’eau. C’est là que commence le parcours. En guise de promenade en montagne, c’est une série interminable d’escaliers qui nous attend, certains normaux, quoiqu’inégaux, d’autres carrément taillés dans le roc. Autant dire que ce n’était pas drôle. Au bout d’une demie heure, je jette l’éponge. Les marches sont de plus en plus hautes et mes muscles refusent de me porter. Ma tête également dit que chaque marche montée devra être redescendue, et j’appréhende cet effort. En effet, j’ai beau être bien chaussée, lors de la descente, je me retrouve sur les fesses. Oui, la roche mouillée glisse. Pour atténuer mon humiliation, mes petits camarades et notre guide se retrouvent également plusieurs fois le postérieur au sol !

Escaliers

Quelle drôle d’idée que d’avoir taillé ces escaliers. N’y aurait-il pas eu moyen plutôt de faire un chemin ? L’endroit est très beau, nous longeons un torrent, mais l’effort est en effet décourageant sans entraînement préalable.

Pour la petite histoire, après trois jours, les courbatures n’étaient plus qu’un mauvais souvenir.

De retour au minibus, je demande à la guide ce que signifie ce drôle de panneau avec des chiffres (500 – 1000 – 2000). Mes camarades français me répondent qu’il s’agit de distance jusqu’aux cabanes en montagne. La guide qui a renoncé à apprendre quoi que ce soir à des personnes qui savent déjà tout me souffle à l’oreille que c’est le prix. Tarifs différenciés pour les enfants, étudiants ou adultes. La promenade est donc payante.

Pendant ce voyage, il m’aura été impossible d’avoir une idée du prix des choses. Tout était compris – à l’exception évidente des babioles ou autres souvenirs. Jamais nous n’avons eu à mettre la main à la poche pour un repas, une excursion, une entrée. Nous n’avons pas non plus eu accès à la monnaie locale, car dans chaque boutique nous payions en Dollars, Euros ou Yuans. Devançant notre curiosité, notre guide nous a offert à chacun un billet de 50 won. J’ai par ailleurs acquis dans une boutique, un livret sur la monnaie locale. Quelle drôle d’idée me direz-vous. L’attrait de ce qui est interdit sans doute. Et puisqu’on en est à parler d’argent, si vous vous rendez sur place, sachez que vous devrez prendre du cash avec vous car vous ne trouverez pas de distributeur (ATM) et que les cartes de crédit ne sont pas acceptées dans les commerces. Ceci est valable pour 2017. Si par le plus grand des hasards vous me lisez en 2025, ne prenez pas ce paragraphe pour argent (hem) comptant.

Fesses endolories, nous reprenons l’autoroute désert et cabossé pour Pyongyang.

Avenue de la science

Comme il n’est pas encore l’heure du repas, nous nous promenons à pied le long de l’avenue de la science. Il s’agit de bâtiments modernes. Mademoiselle Ri nous désigne le plus important « C’est là qu’habite mon professeur d’université ». L’architecture est spéciale, un peu comme on aurait pu imaginer le futur dans les années 1970. Oui, je sais, nous sommes dans le futur de 1970 !

Avant de retourner à l’hôtel, nous mangeons en ville. Comme il s’agit de notre dernier repas en Corée, j’ai demandé si les guides et le chauffeur pouvaient se joindre à nous. Je voulais avoir la possibilité d’échanger avec eux et peut-être d’en apprendre plus sur leur vie.

Nous avons trinqué avec un peu de vin de riz et j’ai eu l’occasion de remettre aux guides et au chauffeur un petit souvenir. La visite de l’exposition de l’amitié le matin même m’avait offert la meilleure introduction. « Ce matin, lors de la visite, j’ai vu que M. Martin L* avait offert un couteau suisse à votre Grand Leader, je vois que nous les Suisses ne sommes pas très originaux ». Ceux que je leur ai présenté – des Victorinox évidemment – avaient bien moins de lames, mais c’était de bon coeur. Il est difficile de savoir si ce cadeau a été apprécié car un de mes compagnons de voyage s’est empressé de dire « Chez nous, lorsqu’on offre un couteau…. etc etc etc ». Ce à quoi je n’ai pu que répondre que chez nous on offrait ce qu’on avait envie d’offrir et qu’on n’était pas superstitieux.

A plusieurs reprises ce soir-là, j’ai essayé d’amener la conversation sur un terrain plus personnel afin de connaître mieux nos hôtes, mais c’est diablement difficile, lorsque, à chaque question que vous posez à votre guide, un des touristes prend la parole pour répondre. En plus du manspreading, le mansplaining est universel. Là où ils n’ont rien pu dire, c’est lorsque j’ai demandé à Mademoiselle Ri ce que son fiancé faisait dans la vie. Elle a rougi et m’a dit qu’elle ne pouvait y répondre qu’à voix basse. HA ! De quoi aiguiser la curiosité ! De quoi imaginer le pire ou le meilleur. Gardien de camps de travail ? Cuisinier de Kim-Jong-Il ? Chanteur de Karaoke ? Ce n’est que quelques heures plus tard, dans le hall de l’Hôtel Yanggakdo que, marchant plusieurs mètres derrière les autres, je lui ai demandé « Alors, maintenant que nous sommes seules, pouvez-vous me dire le métier de votre fiancé ? » « C’est un secret, il est ******** ». Je respecte son voeux et garde son secret, même si je n’en comprends pas la nécessité, tant ce qu’elle m’a dit semble normal, dans quelque société que ce soit.

Le soir, j’ai bouclé ma valise avec difficulté, ayant cédé au chant des sirènes des boutiques de souvenirs (quatre livres de contes, un t-shirt, un drapeau, des babioles, des bonbons, etc). Le lendemain, notre guide se rendrait trois fois à l’aéroport. La première fois très tôt le matin pour un des Français et moi. La deuxième fois en fin de matinée pour l’autre Français, la troisième fois pour accueillir un couple dont elle serait guide pour la semaine à venir. C’est le moment de réaliser que la semaine de 35 heures ou même de 42 heures n’existe pas pour elle. Elle est sur pied de guerre du matin au soir et enchaîne les groupes de touristes. J’ai aussi appris qu’elle changeait chaque semaine de chauffeur et de co-guide. J’imagine qu’il s’agit d’une volonté du pouvoir. Il ne faut pas qu’une trop grande complicité s’installe entre guides afin qu’ils puissent continuer à se surveiller les uns les autres. Il faudrait bien voir qu’un ou l’autre succombe aux charmes occidentaux et décadents qui émanent des touristes.

À l’aéroport tout se déroule bien. Nous faisons nos adieux et passons les contrôles. Un jeune douanier regarde mon passeport et me dit « Switzerland, rich country ». Je lui réponds : « Yes, nice country. But your country is very nice too ». Je jure qu’il a rougi sous sa casquette ! Le pire, c’est que je le pense vraiment. La Corée est en même temps tragique et belle. Et je ne peux que souhaiter le meilleur à ses habitants.

Le vol pour Pékin se déroule sans encombre. Comme à l’aller, nous avons droit au merveilleux burger mystère d’Air Koryo. La tension internationale (Mike Pence est dans la péninsule pour remuer le bâton dans la fourmillière) fait que je serai heureuse lorsque les roues toucheront le sol de Pékin.

(à suivre)

Lien sur les deux chansons mentionnées dans le texte :
https://youtu.be/mA5Yi6k1Yn8
https://youtu.be/RtsOvW1RfS0