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Jour 8 – Lundi 17 avril – Juche 106 – Mt Myohyang – Pyongyang. Début du jour 9 – Mardi 18 avril Juche 106.

Poyon

Il pleut à verse. Nous nous dirigeons vers le temple de Poyon, merveille bâtie au temps de la dynastie Koryo, au XIeme siècle. Le cadre est à couper le souffle et j’aurais voulu m’y arrêter toute ma vie ou presque. Je devais être la seule de cet avis car nous traversons le site au pas de charge (la pluie, le vent, le fait que ce ne soit pas un monument à la gloire du régime, que sais-je ?). Dans le minibus, notre guide est inquiète. L’après-midi doit être consacré à une « promenade en montagne » mais le temps ne le permettra sans doute pas. Elle nous propose une alternative : concert symphonique ? Oh oui, m’écriai-je. Oh non ! Rétorque un de mes compagnons de voyage. Pas de concert donc. Je suggère la visite du Palais des Enfants ? C’est lundi, donc impossible. Retour à l’Hôtel de Pyongyang pour préparer nos bagages ? Mouais….. je ne vais pas passer 5 heures à fermer ma petite valise.

Mt Myohyang

Nous en sommes là de nos réflexions lorsque nous arrivons au « Salon d’exposition de l’amitié internationale », bâtiment imposant qui accueille les cadeaux offerts aux Grands Dirigeants sur trois générations. A chaque arrêt touristique, une guide locale nous accueille. C’est le cas ici également et je dois dire que celle qui nous est attribuée aujourd’hui est particulièrement remarquable. Non par sa beauté – qui est éclatante – ni par sa robe traditionnelle – c’est traditionnel – mais par sa ferveur et son sourire. Contrairement aux autres guides locales qui se contentaient de réciter une leçon bien apprise, celle-ci donnait l’impression de créer un réel contact humain et de vouloir nous envelopper dans l’Amour rayonnant du Juche et de Ses Prophètes.

Palais des cadeaux de l’amitié

Le bâtiment est impressionnant vu de l’extérieur, et encore plus de l’intérieur. Il est sans doute en partie creusé dans la roche. Les photos y sont interdites, hélas. Tout de marbre et de dorure, il comporte des centaines de pièces renfermant, dans des vitrines, les cadeaux les plus extraordinaires offerts au cours des ans à Kim I, Kim II et Kim III. Nous avons visité uniquement une partie de ceux destinés à Kim-Il-Sung. Les salles sont organisées par continent et ensuite par pays. Nous pouvions demander à voir un pays du monde quelconque – nous avons choisi l’Inde un peu au hasard, puis elle nous a menés dans les salles de la France et de la Suisse. Ça allait du beau vase en cristal offert par François Mitterand à la pièce d’or célébrant le 700ème anniversaire de la Confédération envoyé par Flavio Cotti. Plusieurs cadeaux ne mentionnaient pas le nom du donateur, simplement son titre. P.ex. Doyen des Sciences Sociales de la Faculté de *****. Il y avait également beaucoup de cadeaux d’entreprise. J’ai souri intérieurement en voyant un couteau Victorinox offert, si je ne m’abuse, par le Président de l’Association d’Amitié Suisse – Corée, un certain Martin L*. Je ne censure pas volontairement son nom, simplement je ne suis pas certaine de l’avoir compris correctement. Je ne maîtrise pas encore l’Allemand avec accent coréen. C’est une véritable caverne d’Ali Baba ! Nous passons devant des armes dorées, des tableaux, des peaux d’ours, présents de tout ce que la terre a compté de dictateurs ou présidents, avec une belle moissons de représentants de l’Europe de l’Est Ceaucescu, Honecker, Jaruselski, Brejnev, etc.

Myohyang

La pièce maitresse est un avion Ilyushin, cadeau de la Russie soviétique, ou peut-être un maillot des Harlem Globe Trotters offert par Dennis Rodman, ou la peau d’un ours tué par Tito ? (Je me perds dans les détails. Il serait amusant de posséder un inventaire complet).

Le principe de cette exposition est de montrer, non seulement que les dirigeants ou autres VIP du monde entier sont béats d’admiration devant les Kim au point de les couvrir de cadeaux, mais aussi que ces derniers sont tellement détachés des biens matériels et incorruptibles qu’ils ne les utilisent pas et les laissent à la disposition des yeux ébahis de leurs ouailles. En parlant d’ouailles, nous n’étions pas seuls, pour une fois, dans ce bâtiment, qui était visité par plusieurs classes de jeunes pionniers. Ceux-ci, en rang par deux ou trois, vêtus d’uniformes scolaires et arborant un foulard rouge à faire pâlir d’envie le Renaud de la belle époque parcouraient les couloirs et nous regardaient avec curiosité. Certains osaient même un petit geste de la main.

Là encore, j’aurais voulu pouvoir ramener des images.

À la fin de la visite, la guide locale m’a demandé si je souhaitais écrire quelque chose dans le livre d’or. Après mûre réflexion j’ai pondu une banalité du genre « Les présents offerts de bon coeur favorisent la paix et l’amitié ». Après traduction, elle a eu l’air un peu déçue, s’attendant sans doute à beaucoup plus s’enthousiasme de ma part. Comme depuis le début du voyage, j’étais partagée entre mon principe absolu de respecter les pays que je visite et leurs valeurs, leurs croyances, aussi absurdes puissent-elles me paraître, et ma ferme résolution de me pas cautionner le régime des Kim. Ça m’apprendra ! J’ai dû m’extasier un peu trop fort devant les aigles naturalisés, les vases Ming ou les Tour Eiffel miniatures.

Nous terminons la visite par la terrasse qui donne sur la vallée. Un paysage de montagne sous la pluie, très Wagnérien.

En parlant de musique, nous avons passé quasiment tous nos trajets à écouter le même DVD (il y avait un petit écran sur le tableau de bord, là où dans nos véhicules se trouverait l’écran du GPS. Comment diable le chauffeur peut-il conduire en regardant des clips videos ?) La musique était celle du groupe Moranbong, un ensemble entièrement féminin dont les membres ont été choisies par Kim-Jong-Un himself. Au bout de deux ou trois jours, j’avais l’impression de connaître par coeur les chansons. Le style, très pop, aurait sans doute beaucoup de succès à l’Eurovision. Je demande à M. Sin de quoi parle la chanson la plus « collante », celle qui, à mes oreilles fait « Kalimiraaaaa, Kalimiraaaa ». Il me répond qu’elle dit « Allons au Mont Paektu ». Le Mont Paektu est *la* montagne sacrée de la Corée du Nord, le point culminant de toute la péninsule, dont on voit des fresques un peu partout dans le pays. Je suis déçue, moi qui espérais qu’on allait me conter une histoire romantique. Je chantonne un autre air, également entraînant, et demande de quoi il parle. « C’est la chanson du drapeau du parti ». Raté encore !

Myohyang

Myohyang

Après le repas, la pluie a cessé, et comme je n’ai pas réussi à convaincre mes camarades d’aller écouter un concert symphonique, nous tentons de tenter la balade en montagne. Je suis Valaisanne, comme vous le savez, et donc, lorsqu’on me parle de montagne, je ne vais pas me laisser impressionner. Après quelques kilomètres de route, le minibus s’arrête non loin d’une chute d’eau. C’est là que commence le parcours. En guise de promenade en montagne, c’est une série interminable d’escaliers qui nous attend, certains normaux, quoiqu’inégaux, d’autres carrément taillés dans le roc. Autant dire que ce n’était pas drôle. Au bout d’une demie heure, je jette l’éponge. Les marches sont de plus en plus hautes et mes muscles refusent de me porter. Ma tête également dit que chaque marche montée devra être redescendue, et j’appréhende cet effort. En effet, j’ai beau être bien chaussée, lors de la descente, je me retrouve sur les fesses. Oui, la roche mouillée glisse. Pour atténuer mon humiliation, mes petits camarades et notre guide se retrouvent également plusieurs fois le postérieur au sol !

Escaliers

Quelle drôle d’idée que d’avoir taillé ces escaliers. N’y aurait-il pas eu moyen plutôt de faire un chemin ? L’endroit est très beau, nous longeons un torrent, mais l’effort est en effet décourageant sans entraînement préalable.

Pour la petite histoire, après trois jours, les courbatures n’étaient plus qu’un mauvais souvenir.

De retour au minibus, je demande à la guide ce que signifie ce drôle de panneau avec des chiffres (500 – 1000 – 2000). Mes camarades français me répondent qu’il s’agit de distance jusqu’aux cabanes en montagne. La guide qui a renoncé à apprendre quoi que ce soir à des personnes qui savent déjà tout me souffle à l’oreille que c’est le prix. Tarifs différenciés pour les enfants, étudiants ou adultes. La promenade est donc payante.

Pendant ce voyage, il m’aura été impossible d’avoir une idée du prix des choses. Tout était compris – à l’exception évidente des babioles ou autres souvenirs. Jamais nous n’avons eu à mettre la main à la poche pour un repas, une excursion, une entrée. Nous n’avons pas non plus eu accès à la monnaie locale, car dans chaque boutique nous payions en Dollars, Euros ou Yuans. Devançant notre curiosité, notre guide nous a offert à chacun un billet de 50 won. J’ai par ailleurs acquis dans une boutique, un livret sur la monnaie locale. Quelle drôle d’idée me direz-vous. L’attrait de ce qui est interdit sans doute. Et puisqu’on en est à parler d’argent, si vous vous rendez sur place, sachez que vous devrez prendre du cash avec vous car vous ne trouverez pas de distributeur (ATM) et que les cartes de crédit ne sont pas acceptées dans les commerces. Ceci est valable pour 2017. Si par le plus grand des hasards vous me lisez en 2025, ne prenez pas ce paragraphe pour argent (hem) comptant.

Fesses endolories, nous reprenons l’autoroute désert et cabossé pour Pyongyang.

Avenue de la science

Comme il n’est pas encore l’heure du repas, nous nous promenons à pied le long de l’avenue de la science. Il s’agit de bâtiments modernes. Mademoiselle Ri nous désigne le plus important « C’est là qu’habite mon professeur d’université ». L’architecture est spéciale, un peu comme on aurait pu imaginer le futur dans les années 1970. Oui, je sais, nous sommes dans le futur de 1970 !

Avant de retourner à l’hôtel, nous mangeons en ville. Comme il s’agit de notre dernier repas en Corée, j’ai demandé si les guides et le chauffeur pouvaient se joindre à nous. Je voulais avoir la possibilité d’échanger avec eux et peut-être d’en apprendre plus sur leur vie.

Nous avons trinqué avec un peu de vin de riz et j’ai eu l’occasion de remettre aux guides et au chauffeur un petit souvenir. La visite de l’exposition de l’amitié le matin même m’avait offert la meilleure introduction. « Ce matin, lors de la visite, j’ai vu que M. Martin L* avait offert un couteau suisse à votre Grand Leader, je vois que nous les Suisses ne sommes pas très originaux ». Ceux que je leur ai présenté – des Victorinox évidemment – avaient bien moins de lames, mais c’était de bon coeur. Il est difficile de savoir si ce cadeau a été apprécié car un de mes compagnons de voyage s’est empressé de dire « Chez nous, lorsqu’on offre un couteau…. etc etc etc ». Ce à quoi je n’ai pu que répondre que chez nous on offrait ce qu’on avait envie d’offrir et qu’on n’était pas superstitieux.

A plusieurs reprises ce soir-là, j’ai essayé d’amener la conversation sur un terrain plus personnel afin de connaître mieux nos hôtes, mais c’est diablement difficile, lorsque, à chaque question que vous posez à votre guide, un des touristes prend la parole pour répondre. En plus du manspreading, le mansplaining est universel. Là où ils n’ont rien pu dire, c’est lorsque j’ai demandé à Mademoiselle Ri ce que son fiancé faisait dans la vie. Elle a rougi et m’a dit qu’elle ne pouvait y répondre qu’à voix basse. HA ! De quoi aiguiser la curiosité ! De quoi imaginer le pire ou le meilleur. Gardien de camps de travail ? Cuisinier de Kim-Jong-Il ? Chanteur de Karaoke ? Ce n’est que quelques heures plus tard, dans le hall de l’Hôtel Yanggakdo que, marchant plusieurs mètres derrière les autres, je lui ai demandé « Alors, maintenant que nous sommes seules, pouvez-vous me dire le métier de votre fiancé ? » « C’est un secret, il est ******** ». Je respecte son voeux et garde son secret, même si je n’en comprends pas la nécessité, tant ce qu’elle m’a dit semble normal, dans quelque société que ce soit.

Le soir, j’ai bouclé ma valise avec difficulté, ayant cédé au chant des sirènes des boutiques de souvenirs (quatre livres de contes, un t-shirt, un drapeau, des babioles, des bonbons, etc). Le lendemain, notre guide se rendrait trois fois à l’aéroport. La première fois très tôt le matin pour un des Français et moi. La deuxième fois en fin de matinée pour l’autre Français, la troisième fois pour accueillir un couple dont elle serait guide pour la semaine à venir. C’est le moment de réaliser que la semaine de 35 heures ou même de 42 heures n’existe pas pour elle. Elle est sur pied de guerre du matin au soir et enchaîne les groupes de touristes. J’ai aussi appris qu’elle changeait chaque semaine de chauffeur et de co-guide. J’imagine qu’il s’agit d’une volonté du pouvoir. Il ne faut pas qu’une trop grande complicité s’installe entre guides afin qu’ils puissent continuer à se surveiller les uns les autres. Il faudrait bien voir qu’un ou l’autre succombe aux charmes occidentaux et décadents qui émanent des touristes.

À l’aéroport tout se déroule bien. Nous faisons nos adieux et passons les contrôles. Un jeune douanier regarde mon passeport et me dit « Switzerland, rich country ». Je lui réponds : « Yes, nice country. But your country is very nice too ». Je jure qu’il a rougi sous sa casquette ! Le pire, c’est que je le pense vraiment. La Corée est en même temps tragique et belle. Et je ne peux que souhaiter le meilleur à ses habitants.

Le vol pour Pékin se déroule sans encombre. Comme à l’aller, nous avons droit au merveilleux burger mystère d’Air Koryo. La tension internationale (Mike Pence est dans la péninsule pour remuer le bâton dans la fourmillière) fait que je serai heureuse lorsque les roues toucheront le sol de Pékin.

(à suivre)

Lien sur les deux chansons mentionnées dans le texte :
https://youtu.be/mA5Yi6k1Yn8
https://youtu.be/RtsOvW1RfS0

Jour 6 – Samedi 15 avril 2017 – Juche 106 – Pyongyang

Le 15 avril est un jour de grande fête. C’est la date anniversaire de Kim-Il-Sung, grand soleil. Jour, donc, du soleil.

Nous partons en bus pour la « colline avec une très belle vue », traduction approximative de Mangyongdae où se trouve, restaurée, la maison natale de Kim Il Sung dans un charmant parc arborisé. On admire la chambre, la cuisine, les outils, la jarre déformée parce qu’ils étaient trop pauvre pour avoir une jarre normale. Bien qu’il soit encore très tôt, la file de touristes et de locaux s’allonge vite. D’après la légende, Kim a quitté sa famille à l’âge de 13 ans et a promis de ne revenir que lorsqu’il aurait bouté les Anglais hors de France, ou peut-être les Japonais hors de Corée.

Le moment où Kim-Il-Sung adolescent quitte sa famille pour conquérir le monde

Jarre déformée de Kim-Il-Sung

Tout proche se trouve l’entrée d’un parc d’attraction. Il est désespérément vide. Quand donc s’amusent-ils ? On me répond que l’heure d’ouverture n’est pas encore atteinte. Soit. Il est effectivement 9 heures du matin et quelques enfants sont devant les portes.

Parc d’attraction

Retour en ville et visite du monument de la Fondation du Parti des Travailleurs de la Corée : immense sculptures des les trois symboles de la politique du parti. Le marteau et la faucille, bien connus, auxquels s’ajoute le pinceau de l’intellectuel. C’est une des rares réalisations architecturales dues au Général Kim-Jong-Il, le fils du Président et père du Maréchal. Sa construction a été achevée en 1995. Il est situé dans l’axe des deux grandes statues où nous nous étions au jour 2 de notre voyage. Depuis là, on peut également voir, loin derrière les statues, la silhouette inimitable de l’hôtel Ryugyong.

Statues et Hotel Ryugyong

Les urbanistes s’en sont donné à coeur joie avec les perspectives. Il faut dire qu’après la guerre, tout était à reconstruire et je me suis imaginée de grands enfants jouant à un Sim City géant !

Sur cette grande esplanade, les Coréens se promènent, prennent l’air et le soleil. Ils bavardent, ils sourient. C’est jour de fête !

Jour de fête à Pyongyang

Alors que je m’étais étonnée auprès de mes guides de n’avoir croisé aucun chien ou chat dans les rues, ils m’avaient assurés que les animaux de compagnie étaient pourtant courants. Eh oui, j’ai en effet vu mon premier caniche ! Le fait qu’il soit rapidement entouré d’une nuée d’enfants voulant jouer avec lui contredit un peu cette assertion. Ça ne devait donc pas être si banal. Nous avons plaisanté sur le fait que le chien étant un plat courant, les enfants étaient sans doute en train de vouloir chasser leur déjeuner ! C’est une petite victoire que d’arriver à arracher quelques rires à mes guides.

Jeune Coréenne chassant

Tout proche de là se trouve le musée de la Culture. Nous avons le temps de visiter quelques salles (portraits, photographiques et peints des Grands Leaders et de leurs hautes oeuvres ainsi que des paysages forgeant la mythologie du pays) lorsque notre guide nous fait signe de la suivre, vite vite vite.

Monument de la fondation du parti

Monument de la fondation du parti

Dans une salle fermée du musée, un écran de télévision retransmet en direct le défilé militaire sur la place Kim-Il-Sung. Nous avons manqué le début mais assistons, par écran interposé, à cette impressionnante parade qui se déroule, grosso modo, à un kilomètre de nous. Des chars, des missiles, des soldats par millier défilent au pas de l’oie. Cette démarche semble tellement peu naturelle que j’ai pitié des soldats et crains le pire pour celui qui se louperait devant le Maréchal tant aimé. Au fond de la place, des chorégraphies forment les drapeaux du parti et du pays. C’est ce dont nous avions vu un entrainement quelque jours plus tôt, depuis le sommet de la tour du Juche.

Monument de la fondation du parti

Au bout d’une heure, nous retournons à pied au bord de la rivière où nous visitons une exposition florale. Celle-ci est principalement destinée à présenter deux espèces : la Kimilsungia et la Kimjongilia (oui, sérieusement). Beaucoup de Coréens prennent la pose devant les parterres.

Exposition florale

Pour traverser une avenue, pourtant déserte, nous empruntons un passage sous-terrain piéton. Ebahie devant sa propreté alors que je sais que celui de mon quartier est recouvert de graffitis et d’une salubrité douteuse, je le dis au jeune guide qui me répond « mais chez nous c’est interdit d’écrire sur les murs ». Chez nous aussi, Monsieur Sin. Pour ce que vaut une telle interdiction…

On prend la pose

Nos guides nous entrainent ensuite à quelques centaines de mètres le long d’une avenue. « Nous allons voir le défilé ! » Moment d’incompréhension, n’avait-il pas eu lieu quelques heures plus tôt sur la place Kim Il Sung ? Oui, mais là ils défilent pour le peuple. Nous arrivons à temps pour voir quelques chars et autres camions transportant du matériel de guerre lourd, puis arrivent les soldats.

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Soldats

Alors que le matin, ils faisaient travailler leurs jambes, l’après midi c’est leurs bras. Assis à l’arrière d’une quantité de camions, ils saluent la foule, grands sourires aux lèvres. La foule ne les applaudit pas, elle les salue en retour, du geste, de la voix. Sourires forcés ? Je vous laisse juges des images.

Je ne sais pas combien de temps a duré ce défilé de camions, je ne sais pas non plus combien il y en avait, mais ils étaient nombreux, si nombreux, ses jeunes hommes, ces jeunes femmes. Et là, soudain, j’ai repensé aux mots de Trump qui voulait régler une fois pour toute le problème Nord-Coréen. Oui, c’est ces « gamins » là qui seront les premiers à tomber si la guerre se déclenche. Je me suis retrouvée à baisser mon appareil photo et à leur rendre leur salut. Ils ont l’âge de mes enfants. Quelle chance j’ai donc de pouvoir élever les miens là où ils ne seront pas de la chair à canon. Combien étaient-ils ? Des milliers. Trop.

A un moment donné, mes deux petits camarades de voyage, trouvant qu’il était trop difficile de prendre des photos à contre jour, et ayant repéré un nid de Coréennes en habits traditionnels de l’autre côté de la route, ont profité d’une accalmie entre deux séries de camions pour traverser la route. Panique chez les guides !! Ils ont passé le reste du défilé près de moi tout en fixant les deux français de l’autre côté de l’avenue.

En retournant à notre mini-bus, le jeune guide, M. Sin, s’est arrêté dans un de ces petits kiosques qui longent les plus grands boulevards et en est revenu avec des glaces pour chacun. Ça ne valait bien sûr pas une Mövenpick (on est Suisse ou on ne l’est pas), mais c’était ma foi tout à fait acceptable, et très apprécié en ce jour printanier.

Fin de journée au cirque de Pyongyang. Mes souvenirs de cirque datent des représentations scolaires du Knie lorsque j’étais enfant. Pour moi, c’était surtout les animaux et les clowns sous un chapiteau mobile. Autant dire que j’ai été dépaysée. Notre guide nous avait dégoté des places au premier rang. Voilà que mon voisin me dit « s’il y a des clowns et qu’ils font intervenir le public, ça sera pour nous ». Le spectacle s’ouvre par une petite cérémonie à la gloire de Kim-Il-Sung. Est-ce habituel ou à l’occasion du 15 avril ? Puis, un tour après l’autre, nous avons droit à ce qui se fait de mieux en matière d’acrobatie, de gymnastique, de trapèze, entrecoupé par un tour de « clowns » au cours duquel, je vous le donne en mille, je me suis retrouvée à faire tourner une assiette sur une baguette ! Merci pour la participation du public !! En parlant de public, je dirais qu’il était composé à 3/4 de Coréens pour 1/4 de touristes. J’avoue volontiers mon ignorance en matière de spectacle de cirque, mais je veux bien croire que celui-ci était de toute grande qualité. On nous a déconseillé de prendre des images afin de ne pas perturber les numéros, j’en ai volé quelques unes à l’aide de mon téléphone, mais la qualité est loin d’être au rendez-vous. Sinon, j’ai bien sûr eu droit à une étude comparée du Cirque de Pyongyang et du cirque d’Hiver à Paris.

Nous mangeons le soir à l’hôtel Koryo, l’autre grand hôtel international de Pyongyang, situé, lui, au milieu de la ville. Mademoiselle Ri, la guide, me demande pourquoi je voulais visiter la Corée du Nord et je lui parle de Syracuse. la chanson de Salvador (également une belle version par Montand). J’aime tellement ce moment qui dit « Voir le Pays du Matin Calme…. » que ça a été le départ de cette idée. Elle me fait promettre de lui écrire les paroles. Le soir, à l’Hôtel, je m’exécute. J’ai failli lui suggérer de regarder sur Google.

Avant de rentrer, nous nous arrêtons au bord du fleuve pour les feux d’artifices (évidemment moins impressionnants que ceux du 14 juillet). Est-ce vraiment partout dans le monde, la fin obligée d’une fête nationale ? Ils sont beaux, tirés depuis un pont sur lequel défilaient les soldats plus tôt dans la journée. Mais, encore dans mes pensées sinistres de l’après-midi, je ne peux m’empêcher de me représenter, derrière le bruit des fusées, celui des missiles et des canons.

Au bureau de poste et télécommunication de l’hôtel, il y a deux appareils et quelques personnes font la queue. Privée de contact avec ma famille depuis 5 jours, je décide de les appeler. Tout va bien, à vue de nez le jeune Maréchal n’a pas fait d’essai nucléaire ou de tir de missile. Les chatons grandissent, le temps est maussade et on s’apprête à cacher les oeufs dans le jardin.

Cirque de Pyongyang

Le soir, sur Al Jazeera, j’apprends que les gros tubes verts vus le matin à la télévision inquiètent la communauté internationale. Il s’agirait de missiles jusqu’ici inconnus et qui pourraient s’avérer intercontinentaux.

Cirque de Pyongyang

Air China a par ailleurs annoncé qu’elle annulait ses vols sur Pyongyang – Est-ce pour plaire aux Etatsuniens ? Je vole sur Air Koryo car on a le sens de l’aventure ou on ne l’a pas 🙂 Mais je compte sur mes doigts…. Dimanche, Lundi, Mardi fin du séjour.

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Feux du 15 avril

(à suivre)

 

Associated Press à l’Hotel Yanggakdo

Jour 5 – Vendredi 14 avril 2017 – Pyongyang – Nampo – Pyongyang

En descendant au rez-de-chaussée pour prendre le petit-déjeuner, l’ascenseur s’arrête à l’étage numéro 7, sort du noir une guide Nord-Coréenne, reconnaissable à son badge. Sort du noir ai-je dit, car aucune lumière n’illumine l’étage. Pour en avoir parlé avec d’autres touristes, tous ont fait la même expérience. Etage 7 = noir absolu. Au rez-de-chaussée, près du restaurant où nous prenons notre petit-déjeuner, deux tables avec fax, horloges reglées sur plusieurs fuseaux horaires, panneaux « Associated Press », ordinateurs portables, caméras, valises de matériel audio-visuel. La guerre déjà ? Non, on me dit qu’ils sont là pour couvrir la grande fête du 15 avril, anniversaire du Kim-Il-Sung, le lendemain donc.

Nous partons dans notre fidèle minibus vers l’Ouest pour visiter un immense barrage à Nampo. L’autoroute est encore plus grand et, oui c’est possible, en plus mauvais état que celui qui mêne au Sud. Arrivée sur place, panne de courant. Une fois celle-ci terminée, on nous emmène dans une salle où trône une maquette de la construction et un grand écran plat. Projection d’un film d’une quinzaine de minutes sur la réalisation de cet ouvrage, ma foi très impressionnant. Ce barrage avec des écluses fait 9 kilomètres de long et est le passage obligé de tous les bateaux. Il assure l’irrigation d’une bonne partie des terres de l’Ouest, jusqu’à Pyongyang.

Barrage de Nampo

Barrage de Nampo

Pour une Valaisanne comme moi, un barrage doit produire de l’électricité. Ce n’est pourtant apparemment pas le même but pour celui de Nampo. J’ai utilisé mon ami Google à mon retour, qui n’a pas su m’éclairer – dommage pour un tel sujet.

En parlant de Google, avant mon départ, j’avais, à l’aide du programme du voyage et de google maps, préparé et imprimé un itinéraire. En me voyant le consulter la guide m’a demandé ce que c’était. Je lui montre la carte, les trois points hors de Pyongyang qui correspondaient à nos excursions. Elle prend la feuille, la regarde longuement, me la rend en demandant : « Qu’est-ce que c’est *Google* ? »…

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« Qu’est-ce que c’est *Google* ? »
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Cette question, dans la bouche d’une jeune femme de 26 ans trilingue, universitaire, fille de diplomate. Où ailleurs qu’en Corée du Nord pourrait-on la poser ?

« C’est un site internet où on trouve beaucoup d’informations ».

Voilà.

Au retour vers Pyongyang, nous aurions dû pique-niquer et voir un temple mais la pluie nous en empêche. Comment un pique-nique pourrait-il nous priver de la visite d’un temple ? Maintenant que j’ai vu l’état des routes hors de localités, je comprends mieux. Nous reprenons donc le chemin de la capitale où nous mangeons dans un restaurant – désert. L’après-midi est bien occupée par la visite d’une sorte de cité des sciences, réalisation nouvelle ouverte en 2016 à l’impulsion du Grand Maréchal que nous aimons tant. Une des premières choses que nous admirons est une agora. Le siège où Kim-Jung-Un a posé le sien est à jamais marqué d’un plot rouge et malheur à qui voudrait s’y asseoir à son tour. Diverses salles et expositions plus ou moins interactives et très désertes se suivent et ressemblent à ce qu’on peut admirer dans bien des villes du monde. Seules les expositions destinées aux enfants comptent quelques jeunes visiteurs. Etant assez friande ce ce type d’attractions, j’ai regretté de ne pas comprendre les explications écrites en Coréen.

Cité des sciences

Cité des sciences

Cité des sciences

Ailleurs, d’autres salles comptent des dizaines d’ordinateurs, certaines sont dédiées aux enfants et n’offrent qu’un accès à l’intranet du musée. D’autres sont destinées à toute personne majeure qui le souhaite et donnent accès à, je cite, l' »Intranet » qui est, à ce que j’ai compris, l’internet purement Nord-Coréen. Toute personne ? Mais où sont les visiteurs ? Le bâtiment est quasiment désert. Y-a-t-il des heures pour les touristes et des horaires pour les autres ? Pas de réponse. Le bâtiment est d’aspect moderne et alimenté, à ce qu’on nous dit, entièrement à l’énergie renouvelable.

USS Pueblo

 

Musée de la Guerre

Musée de la Guerre

Départ ensuite pour le Musée de la Guerre qui parle principalement de la celle de Corée (1950 – 1953). Celui-ci comporte une partie extérieure dans laquelle les photos sont autorisées, et un bâtiment neuf destiné à glorifier les héros nationaux et démontrer les atrocité des autres. A l’extérieur, sur la rivière Pothong, est stationné l’USS Pueblo, navire Etatsunien capturé par la Corée du Nord en janvier 1968. Dans le musée, nous avons droit à nouveau à un petit film en français, dont le commentaire, déclamé sur fond de musique martiale, nous dépeint le déroulement de la guerre, vue du Nord. Nous sommes, comme dans chaque point touristiques, accompagnés d’une guide locale. Ces dernières sont usuellement habillées d’une robe traditionnelle très colorée et ample qui dissimule leurs formes. Celle qui nous a escortés au musée de la Guerre porte un uniforme militaire près du corps. Alors qu’en général j’ai regretté le manque de communication possible avec les Nord-Coréens, j’étais infiniment heureuse que cette guide ne comprenne pas le français et ait été épargnée par les commentaires douteux de mes compagnons de voyage.

La suite de la visite se déroule un peu en dehors de la ville, aux studios de cinéma de Pyongyang. En fait de studios, nous avons vu des décors extérieurs en dur. Des rues faites d’anciens temples et bâtiments de l’époque Koryo, des ruelles bordées de chaumières, un quartier européen, une rue chinoise, une rue japonaise. Il aurait fait bon y flâner mais la pluie décidément voulait gâcher notre journée.

Décor de cinéma

Décor de cinéma

Décor de cinéma

Avant de rentrer, nous mangeons dans un restaurant, bondé cette fois, mais uniquement d’européens. J’y retrouve entre autre, quatre jeunes romands croisés déjà à l’aéroport et à l’hôtel. Les quelques milliers de touristes qui visitent chaque année la République Populaire Démocratique de Corée doivent faire tourner une sorte d’économie parallèle. Ce sont les seuls clients des restaurants que j’ai vus, des boutiques de souvenirs où on nous a trainés, les principaux clients également des hôtels.

Retour au nôtre. Les tables d’Associated Press sont toujours là.

Je passe le reste de la soirée à regarder Al Jazeera. Les préparatifs de la fête du Soleil – le lendemain – vont bon train. Trump a décidé d’envoyer un porte-avion dans les parages et son vice-président dans la région. Tous craignent que le jeune Kim ne profite de la grande fête pour lancer plus qu’un feu d’artifice dans le ciel du pays du matin calme.

 

Coucher de soleil sur Pyongyang

(à suivre)

Jour 4 – 13 avril 2017 – Kaesong – Pyongyang.

 

Après le petit-déjeuner à l’Hôtel « Folklorique », on se rend dans la montagne pour atteindre le temple bouddhiste Kwanumsa. En chemin (de terre, escarpé, tortueux), notre chauffeur se perd et nous nous retrouvons aux portes d’une base militaire. Il est tôt, le soldat dort debout dans sa guérite. Attention ! On ne photographie pas les soldats – surtout endormis – à quelques kilomètres de la frontière.

Ce temple bouddhiste érigé dès 970 est remarquablement bien conservé et restauré. Les guides nous font remarquer que, contrairement à Pyongyang entièrement détruite lors de la Guerre de Corée, la région proche du 38ème parallèle a été passablement épargnée. L’endroit, par son isolement sans doute, dégage une grande impression de sérénité. Sommes-nous vraiment à si proches de la frontière la mieux gardée au monde ?

Temple Kwanumsa

Temple Kwanumsa

Retour vers Kaesong et, en chemin, vision d’un autre monde. Au cours d’eau d’une rivière, des villageois font leur lessive. En ville, visite de Sungkiunkwan, anciennement la plus grande université de Corée sous la dynastie Koryo. Cet établissement est maintenant un musée, considéré comme trésor national. Dans ses alentours immédiats se trouve la nouvelle université, spécialisée dans les nanotechnologies, la biotechnologie et l’informatique.

Départ enfin pour un passage obligé de tout touriste qui visite la Corée : la DMZ ou zone démilitarisée. A un check point plus sévère que les autres, nous descendons de notre minibus, nous sommes contrôlés, avons droit à un briefing dans une salle où on nous montre, cartes à l’appui, la ligne démilitarisée et la partition de la Corée. Puis nous embarquons avec un soldat dans un autre véhicule.

Frontière – Corée du Sud

Les militaires, dans cette zone de quatre kilomètres (deux de part et d’autre de la frontière) n’ont pas le droit de porter une arme autre qu’un pistolet pour leur protection individuelle. En chemin, nous longeons des champs cultivés. La DMZ est peut-être démilitarisée, mais pas inhabitée.

Arrêt dans la salle des négociations et dans celle où le traité d’armistice a été signé. Au milieu des azalées et des forsythias en fleurs, j’avoue avoir de la peine à imaginer la tension qui y a pu y régner. Nous y apprenons que la Corée n’est qu’un pays pour deux gouvernements,

Table des négociations

que les deux parties de la Corée rêveraient de se réunir. Ce qui rend cette union impossible, c’est uniquement la faute des (méchants) (impérialistes) Etatsuniens.

Ici, je souhaite préciser que je ne rapporte en aucune manière l’opinion des Nord-Coréens en général, tout au plus celle de nos guides car ils sont les seuls avec qui j’ai pu avoir des conversations. Il aurait été facile de tout remettre en doute, de pointer du doigt la moindre contradiction, de rire ou de se moquer, mais à quoi bon ? Je n’aurais fait changer d’avis personne et au pire, ça aurait pu se révéler dangereux pour mes guides si ce n’est pour moi.

L’armistice a été signée par la Corée du Nord et la Chine d’un côté et l’ONU de l’autre. La Corée du Sud ne l’a jamais signé et les deux moitiés de pays sont, de fait, toujours en guerre.

Encore un petit trajet en bus et nous sommes maintenant à la frontière même, à 15 mètres de celle-ci, mon téléphone vibre et des dizaines de notifications s’affichent sur l’écran. J’ai capté un réseau du Sud. Le temps d’envoyer un message à la maison.

Six baraquements se font face, à cheval sur la ligne de démarcation. Les bleus sont ceux du Sud, les blancs ceux du Nord. Les soldats du Nord sont de sortie, ceux du Sud sont invisibles. Face à face, deux bâtiments rectangulaires accueillent les touristes. Nous montons sur la terrasse et pouvons enfin prendre autant d’images que nous le souhaitons, y compris, à notre grand étonnement, des soldats souriants qui assurent les visites.

Autoroute Pyongyang – Kaesong.

Un jour, peut-être, je visiterai la DMZ depuis le Sud et je prendrai l’image inverse. Le bâtiment du Nord vu de celui du Sud.

J’ai demandé aux guides où étaient les touristes du Sud et n’ai obtenu qu’un « pas là » avec un rire gêné. Je crois savoir qu’ils se concertent et harmonisent les heures auxquelles ils amènent « leurs » touristes afin qu’ils ne se croisent pas. Dommage, j’aurais bien aimé faire « coucou » à Mike Pence. Pour la petite histoire, il y est venu quatre jours après moi.

Que n’ai-je pas entendu sur cette DMZ, du mur construit par le Sud au mépris des conventions internationales, aux tunnels creusés par le Nord au mépris d’accords. Drapeaux géants de part et d’autre (j’en ai vus, de grands, mais pas de géants), propagande hurlée par des

Autoroute Pyongyang – Kaesong

haut-parleurs. A ce sujet, j’ai effectivement entendu au loin quelque chose d’approchant, sans, bien sûr, savoir ce qui se disait ou même de quel côté provenait le bruit. A ma question, la guide a tendu l’oreille puis m’a répondu « c’est la radio ». C’était donc la radio  J’ai aussi lu que la DMZ était couverte de mines. De ce que j’ai vu, elle était plutôt, dans la région de Kaesong, couverte de champs cultivés.

 

Retour en ville pour le repas – délicieux et copieux. A nouveau, dans le restaurant, nous ne trouvons que des touristes et leurs guides. Les guides parfois mangent à notre table, parfois à une autre table, parfois encore ils disparaissent et mangent vraisemblablement entre eux dans une autre salle. Aucune logique, aucune systématique dans le fait qu’ils se joignent à nous ou pas. J’ai apprécié de pouvoir parfois partager leur repas ce qui me permettait d’échapper un peu au cours d’histoire et de géographie sur les grandeurs et réalisations de la France. Le restaurant se situait sur une avenue traversant la ville, au pied d’une colline sur laquelle se trouvaient, comme dans chaque localité visitée, les statues des deux Grands Leaders.

Temple Songbul

A ce moment du voyage, je commence à comprendre que le « parti », le « système », le « Juche » est semblable à une religion et que les Kims sont de vrais dieux. Chez eux, tout le monde est croyant, tout le monde est « Kimiste », tout le monde est un fanatique, si ce n’est au fond de son coeur, au moins en apparence. Il faut dire que chaque Nord-Coréen porte sur son coeur un pins à l’image de Kim I oui Kim II, parfois les deux.

 

Le jeune guide m’a dit, comme en confidence, lors du trajet en bus, « Vous savez, nous aimons *vraiment* *beaucoup* le maréchal Kim-Jung-Un ». Je n’ai pas su que faire de cette affirmation. Tout d’abord il m’est venu à l’idée que, quelle que soit mon orientation politique, il ne me viendrait jamais à l’idée de dire « Vous savez, nous aimons vraiment beaucoup Doris Leuthard ou Johann Schneider-Amman ». Tout au plus nous les apprécions, admirons, ou pas. Mais à aucun moment je ne pourrais dire « Les Suisses aiment vraiment beaucoup leur président(e) ». Est-ce que c’était une mise en garde « Attention, on ne dit pas de mal de notre Dieu vivant sous peine de représailles » ? ou une demande « Si vous en dites du mal, vous nous briserez le coeur » ? Je ne saurai jamais. Mais ce moment, cette quasi confidence, me trotte dans la tête.

Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons au temple de Songbul avec son moine si souriant. Que j’apprécie ces visites sans propagande autre que « ce temple a miraculeusement survécu aux destructions des guerres que se sont abattues sur notre pays » et « le régime finance la restauration et la préservation de ce lieu » avec l’aide des visiteurs invités à laisser quelqu’argent. Ces temples perdus dans la

Temple Songbul

nature sont par ailleurs exempts des boutiques où les touristes achètent moult cartes de propagandes ou autres livres réunissant les pensées profondes d’un ou l’autre Kim.

Retour à Pyongyang par le bus, sur cet autoroute gigantesque, désert, cahotique. Arrêt d’une vingtaine de minutes à un « restoroute », petite structure avec WC, places de parc et stand où on peut acheter nourriture et boisson. Ici encore, uniquement des bus et minibus de touristes et leurs chauffeurs – guides. Et ce n’est pas tout, je réalise que je vois souvent les mêmes têtes. J’ai un peu l’impression de me retrouver dans un Truman Show géant.

Hotel Yanggakdo, Pyongyang

Après un repas à Pyongyang, nous retournons à l’Hôtel Yanggakdo où nous poserons nos valises pour quelques nuits. Alors que l’hôtel fait 47 étages et donc un nombre important de chambres, on nous attribue les mêmes que lors de la première nuit. Ce n’est pas pour me déplaire, la mienne a une belle vue sur le fleuve. Je me branche sur Al Jazeera et apprends que les tensions sont grandes dans la péninsule Coréenne et que le monde redoute un tir de missile ou un essai nucléaire de la part du Maréchal Kim-Jung-Un, celui que « nous aimons beaucoup ».

Pyongyang la nuit