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Le meilleur pour la fin – 25 octobre 2018

Inutile de dire que j’appréhendais ce jour. 

Depuis quelques mois et en prévision d’un futur voyage à l’été 2019, je travaille ma condition physique en marchant régulièrement, le dimanche, avec un sac à dos inutilement chargé. Comme je suis loin d’être une sportive aguerrie, mes sorties dominicales comptent quinze ou vingt kilomètres, principalement au plat. 

Mais là c’est autre chose ! Le départ est à 2200 mètres et l’arrivée à 3300. Les kilomètres sont peu nombreux mais… la montée ! Et l’altitude !

Le guide avait tenté de me rassurer, ça fait dix jours que nous vivons dans les hauteurs avec parfois des nuits à plus de 3000 mètres, il nous avait vu crapahuter et estimait qu’on était capables de venir à bout de la grimpée. 

Mouais, pas convaincue.

Il faut savoir qu’il y a trois manières d’accéder au Nid du Tigre.

  • Celle qui consiste à chausser ses meilleures chaussures et grimper.
  • Celle qui consiste à louer un petit cheval ou une mule qui fera la moitié de la montée avec un humain sur son dos.
  • Celle qu’avait choisie Guru Rinpoche : demander à sa concubine préférée de se transformer en tigre volant et grimper sur son dos.

N’ayant pas de concubine, j’ai vite éliminé la troisième. Et la deuxième aussi, parce qu’on fait les choses correctement ou on ne les fait pas !

Un pas après l’autre…. Et le cœur qui s’emballe vite. La montre qui mesure les battements affiche un petit 150 des familles. On s’arrête, on reprend, on s’arrête 15 mètres plus loin, on reprend, on s’arrête encore. On se dit qu’à ce rythme là on y sera encore le lendemain. On reprend, on s’arrête. On tente de faire redescendre les battements de cœur, en vain. On reprend.

Et ainsi de suite. 

Le nombre total de kilomètres n’est pas impressionnant. C’est l’effort qui l’est. À mi-chemin, une cafétéria et le ravitaillement. Le Nid du Tigre est plus ou moins à notre hauteur, mais il reste des volées d’escaliers à descendre puis, bien sûr, à remonter pour atteindre la destination. Ici quelques touristes rebroussent chemin. D’autres sont frais (merci les mules et poneys) et sont prêts à commencer leur effort.

Après une petite pause, nous décidons, bien sûr, d’aller jusqu’au bout. Dans la file, beaucoup de touristes attirés par l’endroit, et bien des Bhoutanais pour qui le Nid du Tigre est un endroit sacré. Nous dépassons des jeunes, des moins jeunes, et même des personnes carrément âgées dont les pas minuscules et obstinés forcent l’admiration.

Non, vous n’aurez pas d’images de l’intérieur du Tiger’s Nest. On laisse à l’entrée téléphones et caméras. Ce n’est pas important. Ne dit-on pas que l’essentiel, c’est le chemin ?

Le soir, un repas traditionnel nous attend. C’est l’heure du bilan avec Tashi et Sonam, des cadeaux, des pourboires, je laisse du chocolat (évidemment), mon couteau-fourchette-cuiller au chauffeur, et mon gpalémo hau guide qui nous avait dit avoir passé une quinzaine terrible à guider un couple de japonais qui avait dépensé une fortune pour dormir dans les meilleurs hôtels possibles, mais ne parlaient pas un mot d’anglais et avaient refusé d’engager un interprète.

L’heure du bilan aussi. 

Devriez-vous aller au Bhoutan ? J’aurais tendance à dire non. Il faut que ce pays garde son côté fermé et préservé. N’allez pas au Bhoutan comme n’importe où ailleurs.

Lisez, renseignez-vous, passez du temps sur vos moteurs de recherche préférés, et si la curiosité est toujours là, allez-y !

Tourisme pour Tous en Suisse romande propose des parcours « tout faits », mais sinon contactez directement Bhutan Himalayan Experience qui s’occupera de vous concocter un voyage inoubliable. 

Et sinon, Globetrotter est toujours une valeur sûre ! (Non, je ne suis pas sponsorisée, si on excepte les cafés généreusement offerts)

18 au 24 octobre 2018 etc. Hit the road !


Nous quittons la région de la capitale pour nous enfoncer dans le Bhoutan profond. Il y a le choix entre la route et les airs, pour les plus pressés. Les distances ne sont pas grandes, imaginez que ce pays est un peu plus petit que la Suisse, mais il faut prendre son temps. Les tunnels sont inexistants, les ponts très rares et n’enjambent pas les vallées comme ils le feraient chez nous. Ils sont au ras des rivières et prolongent d’autant le chemin. Autant dire que nous nous armerons de patience. Le paysage est spectaculaire, et rappelle celui des vallées valaisannes ou grisonnes. Parfois on se croirait à la maison, puis on croise un petit moine en habit rouge qui nous rappelle la distance passée. Octobre est encore très vert et les teintes automnales n’en sont qu’à leur début. 

L’altitude compense la latitude. 

Il est étonnant de voir autant de sapins, pins, si haut perchés. Chez nous, ils auraient depuis longtemps laissé la place aux pierriers. 

Ce n’est pas seulement la flore qui nous rappelle la maison. La faune également… sauf qu’elle compte, en plus des loups, ours, auxquels nous nous (ré)habituons, des tigres et léopards des neiges, des yacks qui partagent leurs pâturages avec les bovidés locaux.

Ceux-ci d’ailleurs paissent librement et on en croise régulièrement le long des routes. Comme celles-ci sont, à l’exception de la région de Thimphu-Paro, étroites, sinueuses, et dans un piètre état, ce qui force les chauffeurs à limiter leurs ardeurs et prolonge d’autant le temps du voyage.

Sur ma route

Mais on ne va pas au Bhoutan pour son bitume, non ?

Pendant les semaines où je ne voyage pas, je suis prof. Enseignante est le terme exact. Mes élèves sont des adolescent.e.s avec tout ce que ça implique d’enthousiasme, de curiosité, d’esprit de rébellion et, il faut bien le dire aussi, parfois de pure bêtise. Cette dernière se manifeste parfois sous la forme de graffitts peu subtils sur les murs, les pupitres ou posters de la salle de classe. Et ces graffitis souvent figurent l’organe sexuel mâle, fait d’un trait de stylo malhabile. Tout ceci pour dire qu’on a rarement l’occasion de voir un beau phallus dessiné sur un mur. Si c’est ce que vous vous dites, c’est que vous n’êtes jamais allé à Punakha ! 

Rizières dans la région de Punakha

Drukpa Kunley, celui-là même qui a « créé » le Takin prêchait de manière originale, par des chants, des danses et un mode de vie que la morale aurait tendance à réprouver. Sur une colline près de Punakha, il a vaincu un démon et l’a enfermé dans un rocher, tout près de l’endroit où se trouve maintenant le monastère Chimi Lhakhang. 

C’est Drukpa Kunley qui a incité les gens à peindre sur les murs d’imposants phallus, et d’en suspendre des modèles en bois de belle taille aux quatre coins de leur maison. 

Graffiti local

Il ne me viendrait pas à l’idée de suspendre un mobile fait de membres masculins au-dessus du berceau d’un de mes enfants (quoi que… j’aurais peut-être dû ! Ils auraient mieux tourné) (non, non, c’est juste un piège pour vérifier qu’ils lisent bien mon blog… ils sont BIEN, mes enfants !), mais visiblement c’est le cas au Bhoutan, vu ce qu’on trouve dans les boutiques d’artisanat local. 

Le temple est bien sûr dédié à la fertilité et un moine nous bénit d’un coup de phallus sur la tête. J’ai dit à mon guide que trois enfants c’était assez et que j’espérais que ce temple ne soit pas trop puissant. Il m’a rassuré en me disant que le coup de phallus en bois sur la tête n’était vraisemblablement pas suffisant pour que je tombe enceinte.

Dzong de Punakha

Digne d’un Dzong.

Les temples au Bhoutan sont parfois à l’intérieur d’un Dzong. C’est une forteresse qui abrite en même temps l’Église et l’État. Il en existe dans les localités les plus importantes, bien sûr, à Paro, Thimphu, Punakha, Trongsa, Bhumtang, etc. Ils sont plusieurs fois centenaires et s’ils ont souffert du passage des ans, des inondations, des incendies, ça ne se remarque pas. Ils sont entretenus et restaurés selon les anciennes techniques et au regard du profane, il est impossible de dire si les murs ont 50 ou 500 ans.

Dzong de Trongsa

Si les administrations situées dans les Dzongs ne sont pas d’un grand intérêt pour le voyageur de passage, il n’en va pas de même pour les temples, il y en a souvent plusieurs dans chaque forteresse. Au fur et à mesure des visites et des explications de Tashi, on finit par se repérer dans les sculptures et les peintures, celui-ci c’est Guru Rinpoche, celui-là c’est le futur Bouddha, là c’est le cercle des réincarnations, etc. 

Les temples ne sont bien sûr pas tous situés dans des Dzongs. Eux aussi sont tous construits selon les techniques ancestrales et nous sommes incapables de distinguer un temple ancien d’un moderne. 

Le BNB

La conservation du patrimoine bâti fait partie des composants du bonheur national brut. Je ne sais pas exactement comment cette notion est née, mais j’aime imaginer que dans un sommet de chefs d’état, un grand de ce monde frimant avec son PIB, et le roi du Bhoutan répliquant que lui, il n’avait peut-être pas un grand PIB, mais qu’il avait le meilleur BNB du monde !

La préservation et la promotion des traditions culturelles bhoutanaises sont donc inscrites dans la constitution et expliquent la similarité entre anciennes et nouvelles constructions. Elles expliquent également que les guides, ainsi que tous les fonctionnaires, élèves, et bien des civils, portent l’habit traditionnel. Même les maisons « modernes », à plusieurs étages, ont un « look » bhoutanais avec des pignons, des décorations sur les murs (non, pas systématiquement des phallus, on n’est pas à Punakha !). 

Du premier au cinquième roi.

Ça peut paraître un peu cavalier d’appeler les rois par leur numéro et non leur nom, mais c’est ainsi qu’ils sont désignés. Aimés par le peuple, ils ne règnent plus car le Bhoutan est une monarchie constitutionnelle depuis une douzaine d’années, mais sont partout, en photo, en dessins. « Le roi et son épouse vivent dans une petite maison à un étage, comme tout le monde ! » nous dit Tashi. 

Le Lac de Feu

Comment se fait-il que le Bhoutan existe encore ? 

Coincé entre deux super puissances qui ont démontré par le passé des visées expansionnistes, le Bhoutan aurait pu être envahi soit par la Chine soit par l’Inde. Ça ne s’est pas fait. Résultat de la protection de leurs divinités ? Ou difficulté géographique ? Hautes montagnes au nord, gorges et vallées encaissées au sud, une forteresse en soi. Il est possible également que l’habileté diplomatique des rois ait joué un rôle. Peut-être aussi que ces deux géants ont trouvé plus confortable d’avoir un Etat-tampon qui minimise leurs frontières communes. L’invasion du Tibet, pays très proche culturellement, a incité les Bhoutanais à se tourner vers l’Inde pour son développement économique. C’est encore le cas actuellement car ce pays investit  d’importantes sommes, par exemple dans de très gros projets hydroélectriques. 

Trongsa, son Dzong, sa vallée en forme de gorge, son grand barrage en construction. 

Après avoir appris que la sauvegarde de l’environnement est un des facteurs du Bonheur National Brut, il est un peu surprenant de voir le flanc de la gorge partiellement déchiré par des routes de fortunes acheminant ce qui est nécessaire à la construction d’un barrage. Cela dit, ce n’est aucunement une critique, il faut bien que le Bhoutan vive, et l’énergie hydro-électrique est sans doute une des moins polluantes qui soit, une fois la construction achevée. Mais c’est curieux !

Ganthey

Cette sauvegarde de l’environnement implique aussi qu’on ne grimpe pas sur les montagnes, on n’installe pas de stations de skis, on ne déboise pas, au contraire, on plante et replante. Oui, il y a un certain tourisme de trekking, mais pas d’alpinisme. Ça doit rendre nerveux certains collectionneurs de sommets de savoir qu’il y a tous ces 7000 encore invaincus ! Ceci fait du Bhoutan le seul pays au monde au bilan carbone négatif. À lui seul, il ne pourra cependant pas sauver la planète, mais s’il nous fallait une preuve que c’est possible, nous l’avons sous nos yeux. 

Ça implique évidemment certains sacrifices. La constitution impose un minimum de terres boisées. Je ne me souviens plus du chiffre exact mais j’ai en mémoire 66%. Or, ça laisse peu de place pour l’agriculture dans un pays qui se voudrait autosuffisant. L’autre souci provient du fait que les jeunes, de plus en plus instruits, ne veulent plus effectuer les durs travaux des champs. Dommage collatéral d’une instruction gratuite pour tous. Gratuite, mais… pas obligatoire !

Alors, les Bhoutanais, heureux ?

Un certain taux de chômage des jeunes, des problèmes d’alcoolisme, l’impression de n’avoir pas un niveau de vie suffisant, le manque d’exercice physique, sont les principaux problèmes mentionnés par les Bhoutanais auxquels j’ai parlé. Mais globalement oui, ils dégagent une sérénité qu’on peut leur envier.

Tashi, notre guide

Après une semaine de route plus ou moins vertigineuses, nous avons vu des dzongs, Punakha, des temples, Trongsa, encore des temples, Bhumtang, des montagnes et des forêts, Gangtey, des chorten,s des temples, nous revenons vers les villes. Demain, c’est Paro et la grimpée attendues et redoutée vers le Nid du Tigre.

Mardi 16 octobre 2018 – ça c’est du vol !

Il y a deux problèmes, vous diront ceux qui souhaitent se rendre au Bhoutan :

  • Le prix du « visa touristique », 250 dollars par jour et par personnes, incompressible, qui permet au Bhoutan d’échapper au tourisme de masse.
  • L’accès. Car à moins de venir depuis l’Inde par la route, et je ne suis même pas certaine que ça soit autorisé pour les touristes non-indiens, il faut voler jusqu’à Paro.

Et ça, c’est une aventure en soi.

La piste est courte, étroite, l’atterrissage se fait à vue après des zig-zags entre les montagnes, il n’y a qu’une poignée de pilotes autorisés à s’y poser et en cas de vents importants, l’aéroport ferme.

Soyons honnête, c’est impressionnant, mais pas de quoi trembler sur son siège. Bien des vidéos Youtube ont été prises par des passagers ou co-pilotes.  J’étais préparée.

Pour le premier point, soit le prix du voyage, il faut savoir que ce coût de $250 (auquel il faut ajouter encore $60/jour si on est seul ou à deux) comprend le gite et le couvert, le guide et le chauffeur. Donc on s’y retrouve vite. Bien sûr, ça reste un voyage qu’on ne fait pas à la légère, on y réfléchit, on compte ses sous, on économise et pendant ce temps, on lit, on se renseigne, et enfin on franchit la porte de l’agence de voyage. Ce n’est pas comme partir à Barcelone sur un coup de tête.

Et c’est exactement ce que veut le Bhoutan.

Aéroport international de Paro

 

Des touristes renseignés et décidés.

Dans l’avion – un ATR quelconque d’une quarantaine de places de la compagnie nationale Drukair (difficile de ne pas penser systématiquement à Michel), principalement des têtes grises. A peine plus d’une heure de vol, un petit-déjeuner et on se pose après le zig-zag précité.

Le Bhoutan… son petit aéroport qui gère une poignée de vols internationaux plus quelques vols internes quotidiens, et l’impression d’avoir changé de monde par rapport à Katmandou pourtant si proche. Déjà, on respire !

Une fois l’immigration passée, les bagages récupérés, l’ATM dévalisé, nous faisons connaissance de Tashi le guide et de Soman le chauffeur qui nous accompagnent pour les dix jours du séjour.

Ils portent l’habit traditionnel, le gho, qu’ils ne quitteront que le soir, une fois leur mission accomplie.

On s’aperçoit vite que Tashi est sympa, un puit de science pour ce qui concerne son pays, sans doute un peu atypique puisqu’il arbore tatouages et nous parle rapidement de son deuxième métier : chanteur !

Le véhicule ne nous dépayse pas : c’est un gros 4×4 Toyota, du genre que nous avions utilisé pour traverser l’Islande et ses rivières à gué. Je me dis que c’est un peu exagéré (gaspillage de ressources, tout ça….). L’avenir me donnera tort.

La route vers Thimphu la capitale est bonne, tortueuse mais confortable. Un premier arrêt vers un temple nous apprend la première règle : no shoes = no photo. Si on doit se déchausser, les images seront également interdites.

A l’arrivée dans la capitale, nous nous dépêchons de visiter quelques musées. Demain, c’est jour d’élections, les troisièmes de l’histoire du pays qui renouvelle son parlement. Tout sera fermé pour permettre aux citoyens de se rendre aux urnes.

Nous profitons donc de ce jour pour voir le Musée du Textile et ainsi admirer la complexité des dessins qu’on peut trouver sur les habits traditionnels, les tentures, les tapis.

Halte ensuite au Folk Heritage Museum qui est situé dans une maison de maître du XIXème siècle et nous donne un aperçu de la rude vie des locaux. Un étage est pour les bêtes, un pour le grain et les provisions, et le dernier pour l’habitat. Il se compose d’une cuisine, d’une pièce à vivre et d’une pièce qui sert d’autel. Ah oui, il y a aussi des toilettes.

Enfin, nous faisons un court arrêt à l’institut du Zorig Chusum, où l’on apprend les arts traditionnels : peinture, sculpture, chant, travail des métaux du bois ou du textile qui permettent de préserver la connaissance nécessaire aux nouvelles constructions ainsi qu’au maintien et à la restauration des trésors architecturaux nationaux.

Les élèves sont admis sur concours dans cette école quasiment gratuite.) gratuite.

L’heure avance, nous sommes partis tôt de Katmandou et c’est avec bonheur que nous découvrons l’hôtel Sernya et son Swiss Restaurant (!!)

Sur la carte, c’est avec pas mal de stupéfaction que je lis raclette, fondue, röstis. C’est un Bernois qui a découvert le Bhoutan avec Helvetas qui a fondé l’endroit. Celui-ci est tenu par un de ses enfants.

L’heure de s’endormir en se remémorant aussi le choc du jour : l’Everest qui nous regarde droit dans les yeux entre Katmandou et Paro.