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Jour 3 – Mardi 24 octobre –  Aralsk – Mer d’Aral.

Il faut sauver, non pas le soldat Ryan ou Willy. Il faut sauver la mer d’Aral.

J’ai toujours cru que le seul critère qui différenciait une mer d’un lac était la salinité de l’eau. Il semble que j’ai tort. J’aimerais bien étaler ma science tout droit issue de la lecture d’une page wiki, mais… internet par ici ce n’est pas gagné !

La mer d’Aral, nommée ainsi, m’a-t-on dit, par analogie avec la mer Caspienne, n’est en fait qu’un lac me confie le pêcheur qui nous emmène faire un tour. Mais that’s not the point.

Si hier encore je me croyais installée dans un confortable été indien, laissant le soleil d’automne caresser mes bras nus, ce matin je suis ramenée à la réalité. -3° !

Mais le soleil brille tant qu’il peut. Le programme disait quelque chose comme « trajet en 4×4 jusqu’à la mer d’Aral ». Les 4×4 maintenant je connais pensais-je. J’en ai conduit un sur les routes les plus reculées d’Islande, franchissant des rivières en folie avec de l’eau au moins jusqu’à mi-roue.

Un 4×4 comme ça, datant de l’époque soviétique, je n’en avais jamais vus. L’intérieur ressemble plus ou moins à celui d’un bus VW de la grande époque. L’extérieur, lui, manque un peu de fantaisie. Cela dit, il nous a amenés sans coup férir jusqu’au nouveau bord de la mer d’Aral.

Depuis 1930, elle a reculé, s’est recroquevillée dans les terres, s’est scindée en deux puis en trois, puis en plus encore d’étendues d’eau, la majorité d’entre elles se sont évaporées, ont disparu dans le sable. Leur principale source d’approvisionnement ayant été détournée pour alimenter les champs de cotons ouzbeques.

L’assèchement de la mer d’Aral a eu de nombreuses conséquences.

Bien sûr, la pêche qui était la principale activité économique, n’existe presque plus. Ce qu’on appelle la Mer d’Aral mineure, celle que j’ai vue, compte encore quelques pêcheurs, mais ce qu’on appelle là-bas la « Grande Aral », est devenue trop salée. Plus rien n’y vit.

Le long de la mer, nous voyons des cimetières de bateaux. Il en reste encore trois, mais ils disparaissent. Alors qu’on devrait les conserver, reliques de la disparition de la mer, les autorités préfèrent les faire disparaître petit à petit, comme une plaie honteuse qu’on veut dissimuler.

Avec la disparition de l’eau, le sable, le sel, et tous les produits chimiques ou engrais qui étaient contenus dans l’eau s’évaporent, sont dispersés par le vent des steppes, et provoquent des effets indésirables sur ceux qui les respirent. Des maladies respiratoires se développent chez les habitants.

Certains villages sont petit à petit ensevelis sous le sable libéré par le recul de la mer.

Conscientes du problèmes, les autorités ont construit un barrage au Sud de l’ « Aral Mineure » entre 2005 et 2007 et, depuis lors, l’eau regagne petit à petit du terrain.

Un autre moyen envisagé pour alimenter Aral Mineure est de détourner l’eau de la rivière Syrdaria

Mais cela impliquerait de mettre en danger un autre écosystème.

Peut-être un jour reverrons-nous un vrai port à Aralsk.

En chemin, nous avons vu un groupe de pêcheurs qui, ayant ramené leurs filets, les démêlent puis chargent le poisson dans un véhicule d’un autre âge.

Nous négocions un petit tour sur la mer, pour 5000 Tenge, de quoi améliorer l’ordinaire d’un pêcheur.

Le souci, il y en a toujours un, c’est que la barque est à une dizaine de mètres de la rive et que nous sommes tous en baskets et, souvenez-vous, il fait très froid malgré le soleil éclatant. Comment faire ? Les pêcheurs ont une paire de bottes supplémentaire. Elle ira à la doyenne du groupe (73 ans). Une autre touriste, Maggie* l’idée du bateau. Les deux anglais et la guide envisagent de se déchausser et de traverser les 10 mètres pieds nus.

Il fait si froid que j’ai mon bonnet, mes gants, mon écharpe… ceux qui me tenaient chaud il y a quelques mois face aux icebergs du Groenland. J’abandonne.

C’est là que la guide dit en regardant les anglais : « Look at those brave English guys !» Ah, il ne fallait pas chatouiller ma fierté nationale (ou il ne sera pas dit que les femmes manquent de courage, au choix).

Je laisse mes baskets avec les autres et je cours dans l’eau.

Quelles belles 20 minutes sur la mer d’Aral. Il faisait si froid que j’ai failli écrire Lac Baïkal ! L’impression d’y laisser mes orteils est largement contrebalancée par le bonheur d’y être allée.

Un bon thé et quelques heures plus tard ne restent que les bons souvenirs – et un peu de fierté nationale / féminine.

… et beaucoup de souci et un peu d’espoir pour la mer d’Aral.

Bien sûr, le wifi de la Guesthouse est inutilisable.

 

*Prénom modifié.

Jour 2 – 23 octobre 2018 – Almaty – Kyzylorda – Aralsk

Se lever très tôt pour, à l’Aéroport d’Almaty prendre un vol d’Air Astana pour Kyzylorda. Là, trouver le chauffeur du minibus qui roulera environ sept heures pour nous amener à Aralsk.

C’est le résumé factuel de la journée. Le seul « point d’intérêt » fut cet arrêt, au milieu du chemin, dans une cafétéria située non loin d’un « complexe ». C’est un bien grand mot, mais c’est celui utilisé par la guide pour décrire ce… mouais… je ne sais vraiment pas comment le dire autrement…

Il y a un petit musée, la statue d’un bélier, puis un théâtre type théâtre romain à ciel ouvert. Chaque deux ans s’y déroule un festival de musique traditionnelle et cette plaine absolument déserte se couvre de yourtes qui accueillent les festivaliers.

C’est le lieu de célébration du Kobyz instrument traditionnel à deux cordes dont le son est capable de dompter humains et animaux.

L’histoire raconte que Korkyt-Ata est né après une gestation de trois ans et neuf jours. Le jour de sa naissance, il y eut un orage si impressionnant que le bébé fut nommé Korkyt, ce qui veut dire « celui qui est craint». Il aurait vécu 300 ans.

Toute sa vie, il a cherché un élixir d’immortalité et pour le trouver, il a en vain parcouru le monde. Un peu partout il rencontrait des personnes où des événements qui lui rappelaient sa propre fin. De retour chez lui, il s’est assis sous un arbre et a entendu une voix lui dire que, s’il voulait échapper à la mort, il devrait inventer un instrument de musique et en jouer sans cesse.

Il a créé le Kobyz, en découpant une pièce de bois et en la recouvrant de cuir de chameau. Les deux cordes étaient faites de crins de chevaux. L’instrument avait un son merveilleux et, lorsque Korkyt-Ata en jouait, le temps s’arrêtait. C’est ainsi qu’il a tenu la mort à distance.

Un jour, cependant, il s’assoupit. Un serpent en profita pour le mordre. Il avait plus de 300 ans.

C’est ainsi que le corps de Korkyt-Ata mourut, mais à ce jour, il vit encore à travers sa musique.

Ce mémorial curieux lui est dédié. Il a été achevé en 1986, conçu par l’architecte Ivrayev et le physicien Issatayev. Quatre piliers verticaux, en forme de Kobyz, renferment des tuyaux métalliques qui, lorsque le vent souffle, comme s’était le cas lors de ma visite, rappellent le son de l’instrument.

Et sinon, des kilomètres de rien. Plus de trafic toutefois que sur les pistes du centre de l’Islande ou les autoroutes défoncées de la Corée du Nord, mais pas beaucoup plus. Parfois le paysage se pare d’un troupeau de chameaux.

Fascination des Steppes de l’Asie Centrale.

Pour moi qui viens d’un pays où le paysage change radicalement dès qu’on parcourt 100 kilomètres, l’immensité de la pleine a quelque chose d’hypnotisant.

Le soir, nous arrivons à Aralsk, petite ville aux airs de village poussé tout en largeur, qui était, il n’y a pas si longtemps, un port de la Mer d’Aral. Aujourd’hui elle n’est plus que la gardienne du sable alentours.

Mais nous reviendrons largement sur le sujet demain.

La nuit se passe dans une « Guesthouse » qui a des prétentions hôtelières. Mais c’est la première fois qu’une employée à l’air revêche vient apporter le linge, le pose sur le matelas nu, et s’attend à ce que les hôtes fassent eux-mêmes leur lit. Les serviettes de la salle de bain sont en gros de la taille d’un timbre-poste. Et il faut se laver et se sécher dans le noir. Heureusement que je ne suis pas adepte du maquillage. Je ressemblerais sans doute à un clown.

Nuit malgré cela paisible, en bordure d’Aralsk.

 

 

Kazakhstan – Jour 1 – 22 octobre 2017 – Le trajet

Alors que Zurich et son arrogance (souvenez-vous de « Downtown Switzerland » et « Unique Airport) tendent à m’agacer, je dois bien avouer que je préfère décoller de Kloten que de Cointrin. Le seul avantage de ce dernier, c’est qu’Etienne parfois guide mon avion.

A ZHR, je finis par me sentir un peu comme chez moi. Tout juste si je ne reconnais pas les douaniers ou les agents de sécurité d’une fois à l’autre.

Pour Almaty, le plus simple c’est de passer par Istanbul. C’est donc avec Turkish Airlines que je vole pour la première fois. J’ai lu que plusieurs années de suite, cette compagnie aérienne s’est très bien classée dans les rankings. Vaut-elle sa réputation ? Les avions sont propres, la nourriture est étonnamment bonne, mais, comme partout d’ailleurs, on a vraiment l’impression de voyager dans une boite de conserve. Contrairement à mon habitude, j’avais choisi des sièges hublot, espérant vaguement pouvoir m’endormir, la tête contre la paroi de l’avion. Et bien je crois que je ferai le retour côté couloir. C’est oppressant de penser qu’on ne peut pas se lever, faire quelques pas, sans déranger les voisins qui, eux, connaissent le numéro de portable de Morphée.

Jusqu’à Istanbul, j’étais victime d’un manspreader…. Mais bon, vue la taille de ses jambes, il aurait difficilement pu les ranger ailleurs qu’en empiétant sur l’espace de ses voisines. Quelle torture ça doit être de voyager en Economy lorsqu’on est grand !

Sinon, oui, Turkish est une bonne compagnie – so far – si on excepte le fait que j’ai beaucoup de mal à comprendre l’anglais parlé avec l’accent turc.

Et pas seulement l’anglais des hôtesses de l’air ! À l’aéroport d’Istanbul, avant d’embarquer pour Almaty, on passe un nouveau contrôle des bagages. En voyant mon MacBook, l’agent me dit

– Sitchon

– ??

– Sitchon !!

– ???

– Sitchon the laptop !

– Oh… okay… I switch it on.

Après une nuit de non sommeil passée à regarder défiler les noms des villes survolées, j’arrive à l’hôtel. Il est 10 heures du matin. Je rêve d’une douche, d’une sieste, de prendre un coca frais dans le mini bar.

– No you cannot have the room before 12

– Oh… when will the room be ready ?

– It is ready but you cannot have it.

– Why ?

– You have to pay for it.

– Oh…. How much ?

– Well… I don’t know.

Elle m’a donnée la clef, mais pas la permission d’aller dans la chambre. Oh well… je me retrouve à somnoler devant un café au lait avec deux autres voyageurs dans la même situation. Et le wifi qui ne veut pas marcher.

A 12h30 je suis installée, douchée, je me prépare à ma sieste quand on toque à ma porte.

– André ? But… you’re not André !

– (finement observé)

A 14h30 je suis au milieu d’un rêve quand on rentre carrément dans ma chambre.

– Oui ??

La porte qui se referme et des pas précipités dans le couloir.

Rassurant !

Réveillée pour réveillée, je me décide d’aller faire le tour du quartier. Non sans avoir cherché à mettre mon ordinateur et ma tablette à l’abri dans le coffre-fort qui, bien sûr, ne fonctionne pas.

L’automne est aussi beau à Almaty qu’ailleurs. C’est dimanche après-midi et les familles se promènent. Je pousse jusqu’à « Central Park » puis au « Green Bazar ». Par deux fois on m’aborde. Le Kazakhstan compte deux langues officielles, le russe et le kazakh. Ce n’était pas du russe.

Ce soir je rencontre mes compagnons de voyage. Je serai dans un petit groupe. Un des points forts de ce séjour est la visite du Cosmodrome de Baïkonour, or, ça ne se visite pas en dehors de tours organisés. Deux Anglais, deux Australiennes et moi et moi et moi. Notre guide est une Russe qui vit au Kazakhstan depuis le démantèlement de l’URSS.

Tout va bien  – sauf le Wifi qui ne fonctionne toujours pas !

Repas avec le groupe dans un restaurant géorgien des environs. Je sais maintenant que lorsque je visiterai la Georgie, ça ne sera plus seulement parce que l’alphabet est très beau ou que la musique traditionnelle y est superbe, mais aussi parce que… miam.

21 octobre 2017 – Le mur de la cuisine

Lorsque j’étais enfant, le nez collé à la carte du monde, je m’extasiais sur la taille de l’URSS. Mon père me parlait de pays disparus, la Lettonie, l’Estonie, la Lituanie, égarés à jamais dans cette immense masse verte.

Bien plus tard, un prof d’histoire-géo, toujours en parlant de l’URSS nous détaillait ces pays en ‘stan’ « Je vous donne les noms, mais vous pouvez les oublier. Souvenez-vous juste qu’il y en avait beaucoup et qu’ils étaient situés plus ou moins au sud. Et moi, je m’étais obstinée à les noter scrupuleusement, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kirghizistan, Le Kazakhstan,… Comme si le fait de les graver dans ma mémoire leur permettait d’exister encore un petit peu.

Bien sûr, arrive Gorbatchev et sa Glasnost. Le mur tombe et, petit à petit, ces pièces de puzzle retrouvent une existence sur la nouvelle grande carte du monde du mur de la cuisine.

Non, ce n’est de loin pas mon premier voyage à l’Est, en revanche c’est mon premier « stan » que je me réjouis de découvrir dès demain.

Lorsqu’on demande à Wikipédia de classer les pays par taille, on trouve, en bonne place le Kazakhstan. Et lorsqu’on voit « Le Souffle », splendide long-métrage qui se déroule dans les plaines de l’Asie centrale, on ne peut que vouloir contempler cette autre sorte d’infini de nos propres yeux.

Voilà. J’espère que ça répond à cette question entendue des dizaines de fois ces dernières semaines : « Mais pourquoi diable le Kazakhstan ? »