Archives quotidiennes : 27 octobre 2017

Jour 3 – Mardi 24 octobre –  Aralsk – Mer d’Aral.

Il faut sauver, non pas le soldat Ryan ou Willy. Il faut sauver la mer d’Aral.

J’ai toujours cru que le seul critère qui différenciait une mer d’un lac était la salinité de l’eau. Il semble que j’ai tort. J’aimerais bien étaler ma science tout droit issue de la lecture d’une page wiki, mais… internet par ici ce n’est pas gagné !

La mer d’Aral, nommée ainsi, m’a-t-on dit, par analogie avec la mer Caspienne, n’est en fait qu’un lac me confie le pêcheur qui nous emmène faire un tour. Mais that’s not the point.

Si hier encore je me croyais installée dans un confortable été indien, laissant le soleil d’automne caresser mes bras nus, ce matin je suis ramenée à la réalité. -3° !

Mais le soleil brille tant qu’il peut. Le programme disait quelque chose comme « trajet en 4×4 jusqu’à la mer d’Aral ». Les 4×4 maintenant je connais pensais-je. J’en ai conduit un sur les routes les plus reculées d’Islande, franchissant des rivières en folie avec de l’eau au moins jusqu’à mi-roue.

Un 4×4 comme ça, datant de l’époque soviétique, je n’en avais jamais vus. L’intérieur ressemble plus ou moins à celui d’un bus VW de la grande époque. L’extérieur, lui, manque un peu de fantaisie. Cela dit, il nous a amenés sans coup férir jusqu’au nouveau bord de la mer d’Aral.

Depuis 1930, elle a reculé, s’est recroquevillée dans les terres, s’est scindée en deux puis en trois, puis en plus encore d’étendues d’eau, la majorité d’entre elles se sont évaporées, ont disparu dans le sable. Leur principale source d’approvisionnement ayant été détournée pour alimenter les champs de cotons ouzbeques.

L’assèchement de la mer d’Aral a eu de nombreuses conséquences.

Bien sûr, la pêche qui était la principale activité économique, n’existe presque plus. Ce qu’on appelle la Mer d’Aral mineure, celle que j’ai vue, compte encore quelques pêcheurs, mais ce qu’on appelle là-bas la « Grande Aral », est devenue trop salée. Plus rien n’y vit.

Le long de la mer, nous voyons des cimetières de bateaux. Il en reste encore trois, mais ils disparaissent. Alors qu’on devrait les conserver, reliques de la disparition de la mer, les autorités préfèrent les faire disparaître petit à petit, comme une plaie honteuse qu’on veut dissimuler.

Avec la disparition de l’eau, le sable, le sel, et tous les produits chimiques ou engrais qui étaient contenus dans l’eau s’évaporent, sont dispersés par le vent des steppes, et provoquent des effets indésirables sur ceux qui les respirent. Des maladies respiratoires se développent chez les habitants.

Certains villages sont petit à petit ensevelis sous le sable libéré par le recul de la mer.

Conscientes du problèmes, les autorités ont construit un barrage au Sud de l’ « Aral Mineure » entre 2005 et 2007 et, depuis lors, l’eau regagne petit à petit du terrain.

Un autre moyen envisagé pour alimenter Aral Mineure est de détourner l’eau de la rivière Syrdaria

Mais cela impliquerait de mettre en danger un autre écosystème.

Peut-être un jour reverrons-nous un vrai port à Aralsk.

En chemin, nous avons vu un groupe de pêcheurs qui, ayant ramené leurs filets, les démêlent puis chargent le poisson dans un véhicule d’un autre âge.

Nous négocions un petit tour sur la mer, pour 5000 Tenge, de quoi améliorer l’ordinaire d’un pêcheur.

Le souci, il y en a toujours un, c’est que la barque est à une dizaine de mètres de la rive et que nous sommes tous en baskets et, souvenez-vous, il fait très froid malgré le soleil éclatant. Comment faire ? Les pêcheurs ont une paire de bottes supplémentaire. Elle ira à la doyenne du groupe (73 ans). Une autre touriste, Maggie* l’idée du bateau. Les deux anglais et la guide envisagent de se déchausser et de traverser les 10 mètres pieds nus.

Il fait si froid que j’ai mon bonnet, mes gants, mon écharpe… ceux qui me tenaient chaud il y a quelques mois face aux icebergs du Groenland. J’abandonne.

C’est là que la guide dit en regardant les anglais : « Look at those brave English guys !» Ah, il ne fallait pas chatouiller ma fierté nationale (ou il ne sera pas dit que les femmes manquent de courage, au choix).

Je laisse mes baskets avec les autres et je cours dans l’eau.

Quelles belles 20 minutes sur la mer d’Aral. Il faisait si froid que j’ai failli écrire Lac Baïkal ! L’impression d’y laisser mes orteils est largement contrebalancée par le bonheur d’y être allée.

Un bon thé et quelques heures plus tard ne restent que les bons souvenirs – et un peu de fierté nationale / féminine.

… et beaucoup de souci et un peu d’espoir pour la mer d’Aral.

Bien sûr, le wifi de la Guesthouse est inutilisable.

 

*Prénom modifié.